Depuis l’époque des Tzars, la Russie fascine le monde occidental autant qu’elle l’inquiète. Au XXe siècle, ces impressions n’ont jamais été aussi fortes que lors de la guerre froide. Pourtant, suite à l’effondrement de l’Union soviétique, les années 1990 sont marquées par une éclipse de la Russie sur l’échiquier international. Considéré comme décadent jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, ce pays réaffirme désormais sa puissance au point de réactiver la perception d’une « menace russe » en Occident.
DU CHAOS POST-SOVIÉTIQUE À « L’ÈRE POUTINE » : LA RECONSTRUCTION DE L’ÉTAT RUSSE
En décembre 1991, la dissolution de l’URSS entraîne la disparition de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) au profit d’un nouvel État. La Fédération de Russie, s’étend alors sur 17 millions de km² et rassemble 80 % des Russes qui vivaient dans l’espace soviétique. Toutefois, dès sa naissance, la Russie post-communiste est confrontée à fort risque de balkanisation.
En effet, le pays regroupe 153 ethnies différentes, dont certaines à l’instar des Tchétchènes et des Tatars, manifestent de forts sentiments indépendantistes et / ou autonomistes. Décrites par Helène Carrère d’Encausse dans l’Empire éclaté : la révolte des nations en URSS (1978), ces revendications identitaires sont apparues dès l’époque soviétique avec l’affaiblissement du pouvoir communiste. Aussi, pour les autorités, le principal défi est de maintenir l’intégrité territoriale de l’État dans le contexte d’une difficile transition politique et économique.
Reflétant la dégradation du pouvoir central, la Constitution du 12 décembre 1993 apparaît comme un moyen de composer avec les forces centrifuges qui sont sur le point de disloquer la Fédération de Russie. Ce texte constitutionnel organise le territoire russe en 89 « sujets fédéraux » qui sont représentés au parlement via le Conseil de la Fédération. De surcroît, 32 ethnies qui constituent 60 % des populations non-russes du pays sont dotées d’une structure administrative « nationale ».
Cependant, en dépit des concessions faites par Moscou aux minorités via la création de 21 républiques, de 10 territoires et d’une région autonomes, le pouvoir russe est contraint de conclure des traités bilatéraux avec ses sujets fédéraux. À cet égard, le cas du Tatarstan est emblématique car après s’être déclaré « État souverain associé à la Russie » (1992), la république négocie un traité spécifique (1994) qui porte sur la répartition des compétences et des ressources entre les autorités centrales et locales. Ce faisant, la multiplication de ces accords complexifie l’organisation administrative initialement prévue par la Constitution.
Bien qu’elle révèle la faiblesse de l’État, la politique menée par le président Elstine a permis à la Russie d’éviter une implosion similaire à celle de la Yougoslavie. Malgré tout, les années 1990 sont marquées par le sanglant conflit qui oppose Moscou aux séparatistes tchétchènes. En novembre 1991, la Tchétchénie profite de la déliquescence de l’Empire soviétique pour déclarer son indépendance. L’année suivante, elle refuse de ratifier le traité constitutif de la Fédération de Russie (1992) car elle se considère comme souveraine.
Après avoir imposé un embargo à la Tchétchénie, les Russes tentent de renverser le président Djokhar Douadev en s’appuyant sur ses opposants. Devant l’échec de cette stratégie, en décembre 1994, Boris Elstine ordonne à l’armée russe d’envahir la province rebelle. Malheureusement, la « blitzkrieg » sur laquelle comptait Moscou échoue et fait place à une guerre d’usure. Mal équipées et mal préparées, les troupes russes subissent de lourdes pertes dans les combats qui les opposent à la guérilla tchétchène.
Finalement, après deux ans de lutte qui lui ont coûtés 10 000 hommes, la Russie conclue un accord de paix avec les forces séparatistes (31 août 1996) et retire ses troupes de Tchétchénie. Moscou a donc subi un cuisant revers militaire sous les yeux de la communauté internationale. Pour autant, la Russie n’en a pas fini avec la question tchétchène. En octobre 1999, prenant prétexte des attentats commis sur le sol russe par des groupes islamistes originaires de Tchétchénie, Moscou lance 80 000 soldats à l’assaut de la république séparatiste. Après quelques mois de combats, la Russie rétablit formellement son autorité sur la Tchétchénie mais les troupes russes et leurs alliés locaux font face à une guérilla sporadique.
Toujours est-il que l’élimination des leaders indépendantistes en 2005/2006 et la nomination par le Kremlin de Ramzan Kadyrov à la présidence tchétchène permettent de « normaliser » la situation dans la république. La mise en coupe réglée de la Tchétchénie par Moscou et le clan Kadyrov se fait néanmoins au prix d’une politique de terreur. En avril 2009, la Russie annonce la fin de l’état de l’exception en Tchétchénie mais la restauration de son autorité dans le Caucase a provoqué la mort de 150 000 civils.
Dans son enquête, Tchétchénie, le déshonneur russe (2003), la journaliste Anna Politkovskaïa donne un aperçu de la violence des méthodes de pacification mises en œuvre par l’armée russe pendant cette guerre :
« J’ai quarante-trois ans, je n’avais encore jamais senti l’odeur atroce d’un homme brûlé, et pourtant j’ai déjà vécu des évènements tragiques. C’est à Chatoï que j’ai fait cette expérience. […] Le 11 janvier 2002, dans le district de Chatoï, sous la lumière aveuglante du soleil d’hiver, sur la route qui menait de Daï, un petit village, à Nokhtchi-Keloï, un autre petit village, dix combattants de l’unité d’élite du GRU ont tué six personnes qui circulaient en Jeep et brûlé leurs corps. Officiellement, les militaires présentèrent cette exécution sommaire comme une "opération spéciale liée à la capture de Khattab blessé". Cette opération se soldat par six tombes de civils dans trois cimetières de campagne et par vingt-huit enfants devenus orphelins»
C’est durant ce conflit que Vladimir Poutine apparaît comme le nouvel homme fort de la Russie. Nommé président par intérim après la démission d’Elstine le 31 décembre 1999 , il est élu successivement à la présidence de la Fédération de Russie en mai 2000 et 2004. Il endosse également le rôle de chef du gouvernement de Dimitri Medvedev entre 2008 et 2012. En mars 2012, il accède de nouveau à la présidence russe après un scrutin controversé. Profitant de la popularité que lui confère sa lutte contre les rebelles tchétchènes, Poutine renforce les pouvoirs de la police et de l’armée.
Son style de gouvernement autoritaire se manifeste aussi par un contrôle accru des médias et par la mise au pas des oligarques. En 2004, l’arrestation de Mikhaïl Khodovkorski, le propriétaire du groupe pétrolier Ioukos envoie un signal fort aux élites qui défient le Kremlin. Parallèlement, la nationalisation de fleurons des secteurs énergétique et minier permet de financer la modernisation des forces russes. Enfin, sur le plan administratif, la réforme constitutionnelle de 2008 entérine le renforcement du pouvoir central au détriment des autorités locales.
L’OTAN ET L’UNION EUROPÉENNE AU CŒUR DES DYNAMIQUES CONFLICTUELLES AVEC LA RUSSIE
Sur le Vieux Continent, l’indépendance des républiques soviétiques d’Europe centrale et orientale est marquée par l’adoption de régimes démocratiques et de l’économie de marché. Dès la fin des années 1990, le rapprochement de ces anciens pays communistes avec l’espace euro-atlantique se concrétise dans leur adhésion progressive à l’OTAN et à l’Union européenne. En 1999 la Pologne, la Hongrie et la République tchèque rejoignent ainsi l’Alliance atlantique.
Ces adhésions ouvrent la voie à un vaste élargissement de l’OTAN à la Slovaquie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie, la Roumanie, la Bulgarie (2004) puis à la Croatie et l’Albanie (2009). Pendant la même période, l’Union européenne connaît une extension géographique sans précédent. En 2004, elle incorpore Malte, Chypre, la Slovénie, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque, la Pologne et les pays Baltes. Trois ans plus tard, la Roumanie et la Bulgarie rejoignent à leur tour l’espace communautaire et sont suivies par la Croatie en 2013.
Vue de Moscou, l’irruption de l’OTAN et de l’UE aux portes de la Russie est perçue comme un danger. Cette impression d’un encerclement est attisée par les « révolutions colorées » qui touchent son « pré carré » en Géorgie (2003), en Ukraine (2004) et en Biélorussie (2005). Effectivement, Poutine est convaincu que les États-Unis encouragent des mouvements populaires aux marges de la Russie pour l’isoler.
Dans chacun de ces cas, d’importantes protestations font suite à des résultats électoraux contestés. En Géorgie et en Ukraine, « la révolution des Roses » et la « révolution Orange » ont pour conséquence l’accession au pouvoir de dirigeants pro-occidentaux tels que Viktor Iouchtchenko et Mikhaïl Saakachvili. A contrario, en Biélorussie l’échec de la « révolution Bleue » permet le maintien au pouvoir du pro-russe Alexandre Loukachenko. Ainsi, sur le plan géopolitique, ces événements inaugurent une ère de fortes tensions entre la Russie et les gouvernements géorgiens et ukrainiens.
En réalité, le rapprochement avec Washington mené en Géorgie par le président Saakachvili menace de détacher ce pays de l’influence de Moscou. À l’échelle internationale, cette politique se concrétise par l’envoie de 2000 soldats géorgiens en Irak, et en avril 2008, par une promesse d’adhésion à l’Alliance atlantique lors du sommet de Bucarest. C’est donc sûr du soutien des États-Unis que le 7 août 2008, Mikhaïl Saakachvili déclenche une offensive contre les indépendantistes d’Ossétie du sud. Contre toute attente, cette initiative provoque une réaction armée de la part de la Russie.
Les troupes russes envahissent alors la Géorgie et écrasent ses forces armées. Bien qu’un cessez-le-feu soit conclu dès le 16 août 2008 grâce à la médiation de l’UE, le 26 août le Kremlin reconnaît unilatéralement la souveraineté de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Le 8 septembre 2008, l’armée russe se retire du territoire géorgien mais Moscou maintient des soldats dans les républiques séparatistes. De facto, cette victoire sur la Géorgie permet à la Russie de réaffirmer sa puissance vis-à-vis de son « étranger proche ». Elle constitue également une forme de représailles quant à l’indépendance du Kosovo qui a été soutenu par les Occidentaux six mois plus tôt.
En Ukraine, le rapprochement initié avec l’UE et les États-Unis après la « révolution Orange » provoque l’ire de la Russie. Très vite, les différends entre Moscou et Kiev se cristallisent autour de l’approvisionnement de l’Ukraine en gaz russe. Sous prétexte du refus des Ukrainiens d’accepter une réévaluation des prix du gaz, le Kremlin entame un embargo contre l’Ukraine. Lors de cette « guerre du gaz », l’alimentation des gazoducs ukrainiens est réduit ou coupé à plusieurs reprises. La crise est particulièrement grave lors des hivers 2005/2006 et 2008/2009, lorsque l’Union européenne subit les contre-coups de « l’arme énergétique » de la Russie. En 2010, la victoire de Viktor Ianoukovitch aux élections présidentielles atténue temporairement les frictions entre Kiev et Moscou.
Le nouveau président annule la demande d’adhésion de son pays à l’Alliance atlantique mais il ne s’oppose pas immédiatement à la perspective d’un accord d’association avec l’UE. En novembre 2013, sous la pression de la Russie, Ianoukovitch refuse de conclure un tel partenariat. Cette situation provoque un mouvement de contestation qui aboutit en février 2014 à la destitution du président ukrainien.
La constitution d’un gouvernement pro-européen est aussitôt suivie par la déclaration d’indépendance de la Crimée, puis par son rattachement à la Russie en mars 2014. Dans l’Est du pays, Kiev est confronté à l’insurrection des minorités russophones qui proclament leur indépendance dans le cadre des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. Si le le sort du Donbass est incertain, il est peu probable que l’Ukraine retrouve dans l’immédiat sa souveraineté sur cette région. Quoi qu’il en soit, en janvier 2016, l’entrée en vigueur à titre provisoire de l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine prouve que Kiev souhaite intensifier ses relations économiques et politiques avec l’Europe.
Pourtant, malgré les sanctions économiques dont elle fait l’objet, la Russie a infligé un revers aux Occidentaux. Non-content de sécuriser l’accès de son pays à la mer Noire, Vladimir Poutine a affaibli durablement l’Ukraine en soutenant les insurgés du Donbass. De ce fait, la persistance de ce confit dans les régions orientales de l’Ukraine rend impossible à long terme, son adhésion à l’Union européenne et à l’Alliance atlantique.
Dans ce contexte, le déploiement par l’OTAN d’un « bouclier anti-missiles » incite Moscou à ne pas se cantonner à une simple course aux armements. À ce propos en mai 2016, dans une interview accordée au journal hongrois Magyar Nemzet, Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères affirmaient que :
« Nous ne sommes pas enclins à trop dramatiser la situation. Mais nous ne pouvons ignorer les tendances négatives qui s'accentuent et qui résultent de l'aspiration de l'Otan à miner sciemment l'équilibre stratégique des forces en Europe, notamment par la voie du renforcement du potentiel militaire de l'Alliance atlantique près des frontières russes et de la création du segment européen du bouclier anti-missile américain. On ne peut qualifier ces démarches autrement que de déstabilisantes et de courte vue […] Dans ce contexte, la partie russe prendra toutes les mesures nécessaires afin de parer les risques et les menaces à notre sécurité nationale»
Au travers de ces déclarations, il est clair que la présence de deux bases abritant des missiles intercepteurs en Roumanie et en Pologne, font de ces pays des cibles prioritaires pour la Russie. Outre le déploiement à Kaliningrad de missiles à courte portée « Iskander », le Kremlin pourrait faire le choix de s’appuyer sur les populations russophones d’Europe centrale et orientale pour fomenter des troubles.
En raison d’une forte proportion de minorités russes en leur sein, l’Estonie et la Lettonie pourraient-être victimes d’un tel risque de subversion. Somme toute, en Moldavie, la présence des forces russes sur le territoire séparatiste de Transnistrie offre au Kremlin un avant-poste qui se situe à 70 km de la Roumanie. Il est donc dans l’intérêt de la Russie de maintenir une telle « zone grise » et de brandir la menace d’une déstabilisation de la région en cas d’atteinte à ses intérêts.
« HARD POWER », CYBERGUERRE ET GUERRE DE L’INFORMATION : LA STRATÉGIE HYBRIDE DE LA RUSSIE
À partir des années 2000, la poursuite d’une politique de puissance en Russie se manifeste par un effort de réarmement et de modernisation des forces armées. Aussi, les dépenses militaires russes ont connu une forte augmentation grâce à l’argent obtenu par les exportations de gaz vers l’Europe. Estimé à 58,6 milliards de dollars en 2008, le budget de la défense russe s’est élevé jusqu’à 90,7 milliards de dollars en 2012. Aujourd’hui, du fait de la baisse du prix des hydrocarbures et des sanctions économiques promulguées contre la Russie, celui-ci a connu une baisse substantielle pour s’établir à 66,4 milliards en 2015.
Si cet effort financier est inédit depuis l’effondrement de l’URSS, il reste modeste au regard des 600 milliards de dollars du budget militaire des États-Unis. De même, avec un total de 146 milliards de dollars en 2015, le cumul des budgets militaires de la France (51 milliards de dollars), du Royaume-Uni (55,5 milliards de dollars) et de l’Allemagne (39,5 milliards de dollars), est nettement supérieur aux dépenses de la défense russe.
Nonobstant, la prééminence des dépenses de l’Alliance atlantique, la guerre de Géorgie et le conflit ukrainien ont démontré le pouvoir d’action de la Russie sur son « étranger proche ». Par conséquent, il n’est pas étonnant que la crainte du « rouleau compresseur russe» soit réapparue chez les Européens. Cette peur est d’autant plus vive qu’en septembre 2015, la Fédération de Russie a envoyé, contre toute attente, un corps expéditionnaire en Syrie pour soutenir Bachar el-Assad. Pour le Kremlin, cette intervention est un succès car elle est sans précédent depuis l’invasion de l’Afghanistan (1979-1989) et parce qu’elle a contrecarré l’Occident et les pétromonarchies quant à la chute du régime baasiste.
En organisant une opération militaire en Syrie, Poutine a une fois de plus prouvé que la Russie était capable de défendre sa sphère d’influence par les armes. Malgré cela, la psychose d’une « menace russe » ne prend pas sa source dans les seuls moyens militaires conventionnels et nucléaires de la Russie. En effet, Moscou dispose également de capacités en matière de cyberguerre et d’ « infoguerre ».
À la différence de la force militaire classique, l’utilisation offensive des systèmes informatiques et de l’information offre l’avantage de pouvoir être menée en temps de guerre comme en temps de paix. Ce pouvoir disruptif et subversif n’a pas échappé aux autorités russes qui auraient déclenchées contre l’Estonie la première cyberguerre de l’histoire. Naguère intégré à l’URSS, cet État balte comprend en son sein une minorité russophone qui représente 30 % de la population du pays. En avril 2007, le transfert du centre vers la périphérie de Tallin d’une statue commémorant la victoire soviétique contre le nazisme provoque d’importantes manifestations.
Vue de Moscou, cet acte du gouvernement estonien est considéré comme une provocation envers la Russie. Très vite, les émeutes de rue sont accompagnées par de violentes cyberattaques qui paralysent l’Estonie pendant quinze jours. Prenant la forme d’attaques par déni de service (DoS / DDoS) ou de défigurations de sites web, ces agressions sont d’autant plus redoutables que l’Estonie est un des pays les plus connectés au monde.
Comme le souligne Daniel Ventre dans La guerre de l’information (2007), l’usage d’un million d’ordinateurs zombies répartis sur l’ensemble du globe n’ont pas permis de certifier l’origine des attaques. Cependant, leur intensité et l’ampleur des moyens mobilisés sous-tendent qu’elles ne sont pas le fait de hackers isolés. Du reste, en 2008 les mêmes procédés ont été utilisés pour préparer et accompagner l’offensive russe en Géorgie.
En outre, à l’image des États-Unis et de la Chine, on soupçonne la Russie de pratiquer le cyber-espionnage tant à des fins industrielles que diplomatiques. Lors de la dernière élection présidentielle américaine, les services de renseignement russes ont été accusés par Barack Obama d’avoir organisés des attaques informatiques contre le parti démocrate. Cette ingérence aurait eu pour but de favoriser l’élection de Donald Trump, réputé plus favorable aux intérêts du Kremlin qu’Hillary Clinton.
En décembre 2016, dans un article intitulé « The Perfect Weapon: How Russian Cyberpower Invaded the U.S. » le New York Times corroboraient ces allégations en arguant que :
«Ce qui a commencé comme une opération de collecte d’information, pensent des responsables du renseignement, s’est finalement transformé en effort pour nuire à une candidate, Hillary Clinton, pour faire pencher l’élection en faveur de son adversaire, Donald Trump. […] Bien qu’il n’y ait pas moyen d’être certain de l’effet final du piratage, ceci est très clair : une arme à faible coût et impact élevé que la Russie a testée dans des élections de l’Ukraine à l’Europe, a été utilisée aux États-Unis, avec une efficacité dévastatrice. Pour la Russie, avec une économie affaiblie et un arsenal nucléaire qu’elle ne peut pas employer tous azimuts, la cyberpuissance a prouvé être l’arme parfaite : économique, difficile à voir venir, difficile à attribuer à ses auteurs»
En définitive, en Europe la crainte d’un piratage des votes électroniques par les Russes a conduit le gouvernement néerlandais à ne pas y avoir recours pour les élections de mars 2017. En France, une peur similaire a incité l’État à adopter les mêmes mesures pour les Français de l’étranger lors des législatives de juin 2017.
En sus des cybertattaques, la Russie est accusée de mener des opérations d’intoxication et de déstabilisation par l’information. L’Agence de presse Sputnik et la chaîne Russia Today sont ainsi accusées par les gouvernements et les journalistes occidentaux d’être les organes de propagande du Kremlin à l’étranger. Concrètement, en Europe de l’Ouest ces médias bénéficient d’une forte audience dans les milieux souverainistes et parmi l’extrême-droite et la gauche radicale. Cette accointance idéologique se retrouve d’ailleurs dans les sites de « réinformation » où ils figurent en bonne place en tant que sources.
Sputnik et Russia Today sont donc les instruments visibles d’une politique d’influence qui contrebalance les représentations véhiculées par des médias tels que la BBC, CNN et France24. D’autre part, Moscou organiserait des campagnes de désinformation en utilisant les réseaux sociaux comme une caisse de résonance à la diffusion massive de « fake news ». L’objectif visé serait de décrédibiliser les médias traditionnels et d’attiser la défiance des Américains et des Européens envers la démocratie libérale. De cette façon, les autorités russes favoriseraient l’accession au pouvoir de mouvements populistes plus russophiles que les partis politiques traditionnels.
Naguère à la tête d’un immense empire, la Russie craint d’être reléguée aux confins du continent européen. Pour contrer l’influence de l’OTAN et de l’UE, Vladimir Poutine met en œuvre une stratégie qui allie habilement la diplomatie énergétique, l’utilisation de la force et l’usage offensif des systèmes numériques et de l’information. Toutefois, si l’ombre d’une menace russe n’est pas sans fondements, elle est a priori surestimée. Effectivement, la persistance de représentations héritées de la guerre froide tendent à appréhender ce pays comme un géant qui prétend à l’hégémonie globale. Dans les faits, la Russie est une puissance réémergente dont la politique de puissance a été favorisée par la propension de l’Europe à considérer la force militaire comme obsolète.
Pour autant, les sanctions économiques promulguées contre la Russie et sa dépendance à la rente gazière l’amène à chercher de nouveaux clients en dehors de l’Europe. En 2014, la conclusion d’un partenariat avec la Chine dans le domaine du gaz, lui permet ainsi de disposer d’une marge de manœuvre vis-à-vis de l’UE. De la même manière, pour briser son isolement, le Kremlin a conclu une alliance d’opportunité avec la Turquie mais dont la pérennité est incertaine. Finalement, dans sa confrontation avec l’Occident, la Russie encourt le risque d’être coupée de l’Europe à long terme sans avoir la certitude que son « pivot » vers l’Orient soit un succès.
Alexandre Depont
Pour aller plus loin
Ouvrages :
CARRÈRE D’ENCAUSSE Hélène, L’Empire éclaté : la révolte des nations en URSS, Livre de Poche, 1978.
GAUCHON Pascal (dir.), Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, PUF, 2011.
GÉRARDOT Maie & LEMARCHAND Philippe (dir.), Géographie des conflits, Atlande 2011.
GUENIFFEY Patrice & LENTZ Thierry (dir.), La fin des empires, Perrin, 2016.
HARBULOT Christian, Fabricants d’intox - La guerre mondialisée des propagandes, Lemieux, 2016.
KENNEDY Paul, Naissance et déclin des grandes puissances, Petite Bibliothèque Payot, 1991.
LACOSTE Yves, Géopolitique : la longue histoire d’aujourd’hui, Larousse, 2012.
MALIA Martin, L’Occident et l’énigme russe. Du cavalier de bronze au mausolée de Lénine, Seuil, 2003.
POLITKOVSKAIA Anna, « Tchétchénie, le déshonneur russe », Buchet / Chastel, 2003.
VENTRE Daniel, La guerre de l’information, Lavoisier / Hermes science, 2007.
Revue :
« La Russie et nous », Conflits, n°11, Octobre / Novembre / Décembre 2016.
Articles / Dossiers :
BÉGUIER Pierre-Édouard, « Les limites de la puissance commerciale russe en dehors du domaine énergétique », InfoGuerre, 04 janvier 2016.
www.infoguerre.fr/matrices-strategiques/les-limites-de-la-puissance-commerciale-russe-en-dehors-du-domaine-energetique-5780
GERASIMCHUK Olga, « Russie / Ukraine : vers une séparation définitive ? », Les Yeux du Monde, 07 janvier 2016.
http://les-yeux-du-monde.fr/actualite/europe/24272-russieukraine-vers-une-separation
HERBERT Fabien, « L’incompréhension Occident-Russie, une question géopolitique et ethnopolitique », Les Yeux du Monde, 23 octobre 2016.
http://les-yeux-du-monde.fr/actualite/europe/27304-lincomprehension-occident-russie-une-question-geopolitique-et-ethnopolitique-12
LIPTON Eric, SANGER David E, SCOTT Shane, « The Perfect Weapon: How Russian Cyberpower Invaded the U.S. », The New York Times, 13 décembre 2016.
www.nytimes.com/2016/12/13/us/politics/russia-hack-election-dnc.html?_r=1
MAZZUCHI Nicolas, « De la cyber-peur », Polemos, 12 mars 2017.
www.polemos.fr/2017/03/de-la-cyber-peur/
MORINE Aâsma, « Sanctions américaines et ripostes russes », Knowckers, 24 juin 2015. www.knowckers.org/2015/06/sanctions-americaines-et-ripostes-russes/
MOSZYNSKI Piotr, « Les pays à minorités russophones risquent-ils l’annexion ? » RFI, 04 avril 2014. www.rfi.fr/mfi/20140404-minorites-russophones-risque-annexion-russie-en-union-sovietique/
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THOREZ Julien, « Géorgie-Ossétie-Russie. Une guerre à toutes les échelles », EchoGéo, 2009.
https://echogeo.revues.org/10890
VERLUISE Pierre, « Ex-URSS : la bataille des dépouilles de l’Empire », Diploweb, 12 avril 2014. www.diploweb.com/Ex-URSS-la-bataille-des-depouilles.html
VINOGRADOFF Luc, « Le spectre de la désinformation russe derrière les "fake news" sur Internet », Le Monde, 30 novembre 2016.
www.lemonde.fr/big-browser/article/2016/11/30/le-spectre-de-la-desinformation-russe-derriere-les-fake-news-sur-internet_5040983_4832693.html
« La deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2006) », La Documentation française, Févier 2007.
www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/deuxieme-guerre-tchetchenie/index.shtml
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