Boko Haram fait couler le sang de l'Afrique, à un degré qu'il est urgent de mesurer. Il ne s'agit plus d'une tragédie strictement nigériane. Depuis 2003, la secte islamiste utilise l’extrême-nord musulman du Cameroun comme base de retrait occasionnelle. Des cellules d’agents dormants y ont fait souche et risquent à tout moment d’être activées. Si nous choisissons de décrire ci-dessous, dans les détails les plus crus, la ligne des exactions commises par le mouvement islamiste, c’est que nous constatons que l’information relative au sujet dans les médias est trop souvent atrophiée pour des raisons relevant de l’autocensure préventive.
Depuis les lourdes opérations militaires menées par le Tchad et le Cameroun contre ses membres, Boko Haram a perdu de nombreux effectifs (30 à 40% de ses capacités auraient été détruites, selon le général Jean-Pierre Palasset). Aux attaques frontales qu’il menait en 2014 contre les armées régulières semble avoir succédé une autre stratégie, comprenant désormais les attentats-suicides de fillettes endoctrinées, semant mort et terreur sur les marchés populeux du Cameroun.
L’introduction du sida dans le corps de jeunes adolescentes, les conversions forcées à l’islam, le reformatage idéologique des consciences, l’exécution des pères et des fils devant les filles, le vol massif de bétail réduisant les paysans à l’inactivité et au déplacement… Les plans tactiques de Boko Haram se caractérisent par une absence intégrale de moralité éthique, et un confusionnisme religieux dénoyautant la religion de ses soubassements spirituels. Dès lors, la religion investie mute en virus attaqué de l’intérieur, et sa létalité explose. L’indigence culturelle, l’appétit vénérien et la rapacité font le reste. Nous sommes en plein registre de "sainte ignorance", le concept élaboré par l’islamologue Olivier Roy pour caractériser la maladie dont est souvent victime la religiosité contemporaine dans le monde : une déconnexion plus ou moins complète entre le culturel et le religieux, remplacée par de simples marqueurs identitaires, universellement assimilables en peu de temps. Il s’agit ici d’une maladie mondiale dont les avancées numériques et technologiques constituent le facteur le plus direct.
L’islam noir, traditionnellement connu pour sa forte tolérance envers la mixité religieuse (mariages islamo-chrétiens très fréquents, éducation sereine des enfants au contact des diverses religions familiales), est lourdement contesté depuis l’émergence de Boko Haram (notamment). Le pape Benoît XVI lui-même avait naguère vanté les mérites de cet islam africain, qui semble désormais remis en cause.
Déconnecté de toute spiritualité et désancré de sa culture d’origine, l’islam djihadiste noir semble plus crapuleux et nihiliste que toute autre manifestation cousine dans le monde. Glacial, Guibai Gatama, directeur de publication à l’œil du Sahel, décrit une part du modus operandi des membres de Boko Haram :
Ils arrivent dans un village, ils égorgent quelques personnes et ils disent ceux qui sont avec nous de ce côté, ceux qui sont pas avec nous de ce côté. Mais les gens ils ont besoin de vivre, ils les rallient ! Mais à partir du moment où vous les ralliez, ils vous posent les conditions. Ces conditions sont simples, ce sont des conditions de fidélité : vous devez retourner là où vous avez été engagé, pour pouvoir tuer un membre de votre famille, une connaissance pour que vous puissiez donc entrer, être considéré dans la secte comme un vrai fidèle »
CRESCENDO APOCALYPTIQUE
Le 4 février 2015, vers 5 heures du matin, un commando attaque la ville de Fotokol (à l’extrême-nord du Cameroun), tuant 81 civils (parmi les morts, une trentaine de fidèles sont exécutés dans la mosquée de la ville, avec leur imam).
Avril 2015 : Boko Haram s’attaque au village camerounais de Bia (Nord du Cameroun) : 19 morts, dont une majorité de victimes décapitées.
Le 19 mai 2015, la CRTV parle de plus 150 000 déplacés camerounais.
Dans l’extrême nord du Cameroun, là où la secte islamiste s’est implantée, les départements du Logone et Chari, du Mayo-Sava, du Mayo-Tsanaga et du Diamaré sont en première ligne.
Samedi 13 juin 2015, une centaine d’imams camerounais se sont réunis à Yaounde pour prier et appeler à la chute de Boko Haram.
Dimanche 12 juillet, attentats-suicide de Fotokol : un double attentat-suicide perpétré par deux femmes vêtues d’un voile intégral. Elles avaient tué 11 personnes. Une première explosion sur un marché alors que la population se presse sur les étals à l’heure de la rupture du jeûne du ramadan.
Le lendemain, RFI analyse :
Comme l’ont montré les récents attentats à Ndjamena, Boko Haram a changé de stratégie. Celle de l'attaque frontale menée depuis plus d'un an s'est révélée inefficace. Le Cameroun a sanctuarisé son territoire et dressé un rempart militaire. Dans le même temps, le corps expéditionnaire tchadien a porté des coups rudes aux jihadistes qui ont dû abandonner une série de villes occupées dans l'état de Borno. Face à cette situation, Boko Haram a donc délaissé les attaques directes au profit des attentats kamikaze. Cette stratégie ne lui permettra sans doute pas d'occuper des territoires ni de récupérer des richesses, mais elle frappe les esprits et sème la terreur jusque dans les centres urbains"
15 juillet: le voile intégral est subitement interdit au Cameroun dans la région du Nord, en raison du risque très élevé d'attentats.
Enfant kamikaze interpellé, ici au Nigeria
Des comités de vigilance se multiplient dans la population : les enfants isolés, suspectés, sont appréhendés.
mercredi 22 juillet 2015 : double attentat-suicide à Maroua. Deux fillettes vêtues d’un voile intégral se font exploser.
Fin juillet 2015, Midjiyawa Bakari, le gouverneur de fer de la région, a déclaré dans un discours ubuesque tenu devant la presse :
Nous allons interdire le commerce ambulant. Nous ne devons pas trouver les enfants ou les adultes en train de trimbaler les choses en ville ; tout commerce doit être élu fixe. Ceci également valable pour les enfants de la rue, comme on les appelle. L’expérience a montré que tous ces kamikazes ont moins de 15 ans. Nous allons procéder au bouclage systématique ; parce que là c’est des cas de délaissement parental. Faut que nous sachions que tel enfant appartient à tel père. (…) C’est des enfants qui ne sont pas camerounais, c’est le refoulement systématique. Et ceci est valable pour les adultes. (…) Autre chose, les lieux de culte. Nous allons réduire au maximum. Nous ne disons pas que nous allons les fermer totalement, mais de concert avec les leaders religieux, nous allons voir quels sont dans la ville les lieux de culte indispensables, de manière à faire un système d’autodéfense »
Puis il poursuit :
Le contrôle des moto-taxi, je le dis et je le répète : les surcharges… on ne veut plus voir 2-3 personnes derrière des motos, et chaque moto doit avoir tous les documents exigés et un arrêté du premier ministre à cet effet. La tolérance zéro est finie (sic). Et le moto-taximan doit avoir ses papiers. Les bars seront fermés ; tous vont au-delà des heures régulières. Nous n’allons pas encore entamer le couvre-feu, mais tout ce que nous envisageons, ça va dans ce sens »
Fin juillet encore, le Cameroun expulse expéditivement 2500 nigérians. Ces derniers ont été raflés et sont parqués dans des camions de marchandises.
La population camerounaise, religieusement plurielle, fait corps avec son gouvernement face à la menace de Boko Haram. Les imams locaux, pour la plupart, se sont rangés derrière les autorités du pays. Des excès de prévention sont parfois constatables: une certaine propension à la frayeur collective conduit parfois à des arrestations alléatoires. Au travers du défi Boko Haram, c'est la cohésion et l'identité du peuple camerounais qui sont interrogées: une occasion majeure d'approfondir le lien collectif et de resouder la nation au travers d'un projet humain renouvelé.
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