Qu'est-ce que le génie belge? Réflexions françaises sur l'identité belge

 

« Le Belge a les pieds sur terre, mais il se méfie de la réalité» (Patrick Weber, La grande histoire de la Belgique)


C’est la question à mille francs : pourquoi le Belge semble-t-il toujours un peu décalé ? Parce qu’observé de biais, le monde retrouve de sa droiture. Le profil tordu de l’humanité nous impose de recourir aux perceptions déformantes, afin d’en restaurer quelque vérité d’origine. Ça, le Belge est assez innocent pour le savoir sans avoir besoin de le comprendre. De là son génie, inaccessible aux cérébraux calculateurs, cyniques et cartésiens.       


Peut-on définir l’esprit d’une nation ? Assurément, mais seulement si l’on ne prétend pas scientifier le propos : aucun pays ne peut être réduit à quelques traits d’identité fixes, qui auraient été gentiment congelés par la nature. Pourtant, cela ne signifie pas qu’on ne puisse saisir certaines tendances, certains traits de caractère nationaux… L’observateur avisé sait les distinguer, les attraper au vol. Le péché mortel en la matière, c’est de systématiser…


L’une des premières choses que ressent le touriste lorsqu’il pose sa besace à préjugés en Belgique, c’est ce soupçon de lenteur aimable qui rend aux êtres une complexion moins robotique qu’ailleurs. C’est assez plaisant, et plus profond que les frites, la bière ou les vaches très musclées. Hergé, Magritte, Van Damme, Stromae, Henri Michaux… Le décalé interprète mieux la réalité chaotique de notre monde : plutôt que de conclure à l’absence de sens ontologique des êtres et des faits, l’esprit belge assume le défi de l’absurde et parvient à restaurer ces éclats de vérité désorbités, qui nous aident à avancer. Le problème, à l’heure actuelle, c’est que l’art et les lentes retraductions cosmogoniques, ça fait chier tout le monde. 

 

 

Le Belge est un ami irréductible

 

Comme le constate Régis Debray, le temps de la vidéosphère succède à celui de la graphosphère. Saturés d’écrans digitaux et d’incitations numériques, nous sommes plus que jamais sujets au spasme émotionnel, à l’attention clignotante. Nous "consommons" le réel en clients-spectateurs. L’esprit belge est menacé par cette tendance contemporaine. Le doux burlesque s’étiole au profit d’une certaine surenchère désopilante. Le sens y perd. L’urbanité fantasque du Belge, l’un des plus beaux trésors de son patrimoine, mérite d’être préservée face aux dénaturations faciles qui ont cours.

 


« Il n’existe pas d’autre exemple au monde d’un pays né d’un opéra ayant dégénéré en révolte, puis en révolution, et enfin en déclaration d’indépendance» (Patrick Weber, La grande histoire de la Belgique)

 


Dès l’origine, la Belgique a su se faire remarquer pour les anomalies heureuses qui la façonnent. Des Flamands, des Wallons, des germanophones réunis en une nation dont le destin passe par une fraternité extra-communautaire. Ce n’est pas simple, et dès que les difficultés économiques apparaissent, les citoyens du bon côté de la balance sont tentés par la sécession. Aujourd’hui, la croissance étant incorrigiblement flamande, certains souhaiteraient jeter par-dessus bord l’infâme wallon, chômeur impénitent dégénéré…
Mauvais calcul. On ne s’ampute pas de sa chair sous prétexte qu’elle saigne.

 

Le soutien de la Wallonie est un devoir fraternel qui autorise l’exigence et les coups de gueule ; l’avenir est long chers cousins Belges, et votre fraternité nous manque. Vous êtes un jeune et grand peuple, étonnant, riche d’avenir. A force de divisions identitaires, votre pays perd de ses lueurs.
N’oublions pas le vieux diagnostic du Hollandais Benno Barnard, à propos de la terre belge :

 


« Nulle part ailleurs en Europe n’existe un mélange si sain de cosmopolitisme et de provincialisme, que les diverses sous-espèces belges doivent à leur proximité mutuelle ainsi qu’à leur aversion commune à l’égard du centralisme jacobin à la française» (In Littérature en Flandre, 2003)


 

Ce mot, « cosmopolitisme », il convient de l’habiller de valeurs, de le rendre opérationnel. Nous sommes d’accord que le mélange pour le mélange n’aboutit pas forcément à grand’ chose, qu’il peut constituer un risque identitaire. Mais l’esprit noble est celui qui relève les défis de la difficulté. Vous êtes à la hauteur de relever les défis du mélange. Nous l’attendons de vous !


L’identité du Belge, qu’il soit Wallon ou Flamand, est plus que sa patrie linguistique. Son identité ne s’arrête pas au "Volk" entendu de façon crypto-raciale. La fameuse parabole du fils prodigue devrait un peu vous secouer. Sur un plan étatique, les uns sans les autres, vous perdez votre âme.


Le fameux père Damien, vous le connaissez mieux que nous autres… ce que lui a su faire au nom de sa conscience, jugeriez-vous insupportable d’en faire ne serait-ce que le 100e auprès des vôtres ? Ne les laissez pas dans la difficulté. Demain, vous aurez peut-être besoin d'eux, et ce qui est certain, c'est que nous autres Français avons besoin de vous ensemble. 

 

Pierre-André Bizien
 

 


 

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