La production du chocolat dans la ligne de mire de la morale. En effet, force est de constater que cette délicieuse gourmandise cache un visage peu reluisant. Sa récolte, dans les plantations d’Afrique de l’ouest, nécessite pléthore de saisonniers. Parmi eux, des enfants…
Le cacao. Son nom originel est « cacahuatl ». Un terme qui nous vient de la langue des Aztèques (le nahuatl). Pour autant, si à la base le cacao est bien originaire du Mexique, c’est en Afrique qu’il est le plus cultivé. Cette zone concentre d’ailleurs plus de 70% de la production mondiale. Dans le trio de tête des pays producteurs, on trouve la Côte d’Ivoire (37%), le Ghana (22%), et le Nigeria (6%). L’Europe est pour sa part le premier consommateur de cacao au monde. A lui seul, le continent importerait près d’un million de tonnes et demi par an !
Le chocolat : un produit devenu incontournable
Le chocolat est fabriqué à partir de fèves de cacao. Ces graines se trouvent dans les cabosses, un fruit poussant sur le cacaoyer. Il existe plusieurs variétés de cet arbre fruitier, suivant son origine géographique. Le plus largement répandu est de loin le forastero. Le criollo est lui aussi très fréquent. Le trinitario est quant à lui issu du croisement des deux premières variétés.
La transformation des fèves de cacao en chocolat s’effectue presque exclusivement en Europe : de la torréfaction jusqu’à l’obtention de la pâte de cacao. Cette opération prend généralement quelques jours. De cette pâte sont extraits le beurre et la poudre de cacao. Ensuite, on mélange cette poudre à d’autres ingrédients et on obtient le produit fini. Les déclinaisons semblent infinies : barres chocolatées, confiseries, tablettes, céréales, boissons, gâteaux, pâte à tartiner…
Du chocolat, on en trouve partout : notamment dans les boulangeries et les chocolateries ; c’est dans les supermarchés qu’il s’achète le plus. Ce produit s’est peu à peu imposé dans notre vie quotidienne. Les fêtes en tous genres lui ont donné un sérieux coup de pouce… Tout comme le marketing, dont le budget – quelques 8 milliards annuels – témoigne de l’importance du marché. Les nombreux spots publicitaires télévisuels et sa position fréquente en tête de gondole ont fait du chocolat un produit omniprésent. Qu’on en juge : les Français en consommeraient près de 7 kilos par personne et par an.
Or, il y a un hic. Pour obtenir de telles quantités de production, le travail d’enfants esclaves africains serait monnaie courante…
L’industrie du chocolat pointée du doigt
Comment les industriels européens pourraient-ils l’ignorer ? Selon les informations officielles de l’UNICEF, plusieurs centaines de milliers d’enfants travailleraient dans les plantations cacaoyères en Afrique. La course au profit d’une poignée de multinationales serait-elle plus importante que le sort de centaines de milliers de petites mains ? Etant donné le fait que près de 50% de la consommation mondiale de chocolat est engloutie par l’Europe, nous avons le droit et le devoir de connaître les conditions de vie des travailleurs qui récoltent les cabosses pour notre plus grand plaisir.
Tout d’abord, le cacao est un business. Une production annuelle qui frôle les 4 millions de tonnes, soit un marché de quelques 10 milliards de dollars. Ce chiffre est alors démultiplié quand la matière première (le cacao) devient un produit fini (chocolat et tous ses dérivés). C’est une matière première sur laquelle on spécule, au même titre que le riz et le blé. Son cours peut donc fluctuer, mais les petits cultivateurs n’ont strictement aucune mainmise sur la volatilité du marché. Si les cours chutent brutalement, leur quotidien se dégrade parallèlement. D’ordinaire, sur une tablette de chocolat, ils ne perçoivent qu’à peine 5% du prix payé par l’acheteur. En schématisant, le reste est partagé entre le grossiste local et l’industriel européen.
Par ailleurs, la pauvreté qui sévit au Mali, au Burkina-Faso, ou encore au Niger pousse nombre d’enfants à aller travailler dans les plantations de Côte d’Ivoire ou du Ghana. On leur fait miroiter un salaire modeste (mais convenable), qui leur permettrait d’aider leurs familles. Ils ont généralement entre 10 et 14 ans, et ne parlent pas la langue du pays d’accueil. L’ONG internationale Humanium nous éclaire sur ce point :
« Dans de nombreux pays africains, il existe une tradition qui consiste à envoyer les enfants à l’étranger pour qu’ils apprennent un métier : au fil des ans, cette pratique s’est cependant transformée en un véritable trafic d’enfants, gérés par des intermédiaires qui paient les parents et exploitent les enfants».
La quasi-totalité des exploitations de cacao sont de type familial, soit quelques hectares pour la plupart d’entre elles. Les propriétaires sont souvent des personnes dénuées de scrupules. En effet, nombre de planteurs paient des trafiquants pour leur ramener une main d’œuvre jeune, docile et plus ou moins gratuite.
Il se dit qu’un jeune enfant esclave se négocierait aux alentours de 200 euros. D'autre part, on travaille dix heures par jour pour la récolte principale, laquelle s’échelonne d’octobre à avril.
Le droit international interdit et sanctionne bien évidemment le travail des enfants. C’est pourquoi les industriels, à l’image des deux géants suisses Nestlé et Barry Callebaut se sont engagés en 2001 à éradiquer le problème. Ils avaient signés cette année-là le protocole « Harkin-Engel », dont l’objectif était de mettre un terme à cet esclavage moderne. Il n’a pourtant pas été atteint en 2008, comme il était alors convenu. Une décennie plus tard, aucun changement significatif à l’horizon : une véritable honte.
De plus, les industriels ont longtemps nié les faits, jusqu’à ce que l’accumulation des preuves les oblige à revoir leurs lignes de défense. Ces dix dernières années, ils ont fait preuve de leur désintérêt total quant au triste sort réservé à ces enfants, car ils n’ont jamais pris le problème à bras le corps. Lorsque certaines multinationales l’ont fait, ce n’était bien souvent que dans le but d’améliorer leur image de marque. Nestlé a généré près de 80 milliards d’euros de chiffre d’affaire en 2012. Partant de ces conditions, son slogan officiel résonne étrangement:
« Ensemble : mieux manger, mieux vivre ».
Quel futur pour les « enfants esclaves » ?
Malheureusement, on ne peut que constater l’accentuation de ce phénomène écœurant. Vieillissement des vergers, problèmes climatiques, insectes ravageurs et champignons participent conjointement à l’amplification, à la pérennisation de ce système barbare et inhumain. Ces catastrophes en tous genres font perdre annuellement plus de 500 000 tonnes à l’industrie cacaoyère. Etant donné qu’il s’agit de maintenir coûte que coûte une production élevée pour répondre à la demande du marché mondial, on aura certainement encore longtemps recours à ces enfants esclaves.
Kofi Annan, ancien Secrétaire Général des Nations Unies, déclarait à juste titre :
« Le travail des enfants laisse de graves séquelles chez les enfants eux-mêmes et la société dans son ensemble. Les enfants travaillent aujourd'hui dans des situations dangereuses. Ils en garderont demain des traumatismes sur le plan physique, intellectuel, affectif. Leur vie d'adulte sera marquée par le chômage et l'illettrisme »
Les dirigeants des multinationales du cacao et les responsables politiques de Côte d’Ivoire endossent une responsabilité partagée quant à cette tragédie. Les patrons d’ADM, de Cargill, de Nestlé, de Ferrero, et de Kraft Foods sont directement concernés. De son côté, quand donc le président ivoirien prendrait-il des mesures contraignantes pour lutter contre ce trafic d’enfants ?
Au final, ce serait peut-être aux consommateurs de faire bouger les choses, en demandant plus de transparence et de contrôle à ces entreprises. Au-delà des fausses promesses officielles et du baratin institutionnel, exiger des résultats tangibles serait nécessaire. En 2013, on compterait encore au moins 1,5 millions d’enfants esclaves dans les exploitations de Côte d’Ivoire et du Ghana.
Le prochain salon du chocolat à Paris se déroulera du mercredi 30 octobre au dimanche 3 novembre 2013… avis aux amateurs !
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