Qui donc se revendique islamo-gauchiste ? Derrière cette question malicieuse, il serait tentant de conclure à l’inexistence d’une famille que la droite dure signale depuis beau temps. Cependant, nous pourrions dans la foulée poser cette autre question : qui se revendique fasciste aujourd’hui ? Quasi-personne, bien entendu… Nous n’irions donc pas beaucoup plus loin, et pour cause : nous ne sommes pas seulement, ni nécessairement, ce que nous revendiquons être. La réalité de l’islamo-gauchisme est donc potentiellement envisageable, malgré le fait qu’elle soit constamment niée par les principaux intéressés.
Le concept fait problème, dans la mesure où il évoque ontologiquement la collusion, la manigance, voire la conspiration : stratégiquement, des hommes et des femmes de gauche, historiquement liés à la lutte anti-religieuse, auraient accepté de s’allier avec la frange la plus outrée de la réaction religieuse : l’internationale islamique, plus ou moins radicale et anti-occidentale. Ici, deux points de concordance factuels pourraient être dégagés : la subversion du cadre national (l’internationale sans frontières), et l’opposition morale à l’Occident prédateur (détesté pour des raisons parfois inverses : son athéisme, son anomie morale pour les islamistes – sa dimension patriarcale et capitaliste inégalitaire pour les militants de gauche).
Théoriquement, les deux mouvances considérées adhèrent à des positions référentielles trop diamétralement opposées pour qu’une compatibilité puisse être envisageable. Dans les faits, il en va pourtant différemment : la hiérarchie des priorités idéologiques change la donne, rendant possibles certaines proximités « hic et nunc » sur le mode bien connu de la rengaine « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Par ailleurs, le totem marxiste ayant gravement fondu depuis trois décennies, la frange révolutionnaire de la gauche cherche à reconfigurer sa mystique mobilisatrice en s’adaptant au temps présent. Que montre le temps présent ? De nouveaux idéalistes, décidés à faire chuter l’Ouest par tous moyens. Cette seule réalité suffit à certaines consciences pour qu’un nouvel axe stratégique puisse être conçu. Jacques Julliard soutient cette thèse à l’extrême :
"L'islamo-gauchisme est né du jour où l'islamisme est devenu le vecteur du terrorisme aveugle et de l'égorgement. Pourquoi cette conversion? Parce que l'intelligentsia est devenue, depuis le début du XXe siècle, le vrai parti de la violence. Si elle préfère la Révolution à la réforme, ce n'est pas en dépit mais à cause de la violence" (Le Figaro, Archives carnets, réed. 26 août 2016)
Une mystique apocalyptique
Après les brigades rouges, la bande à Baader et les guérilleros sud-américains, un nouveau front s’est levé contre l’Oncle Sam et ses satellites. Il s’agit de la seule force, du seul levier humain suffisamment crédible pour que la bête soit enfin annihilée, après l’échec des Rouges. Ce constat brumeux macère effectivement dans certains cerveaux, il serait idiot de le nier. Cependant, est-il véritablement assumé, pris en charge par ceux qu’il tente ? Il s’agit là d’une autre question. Le phénomène des conversions éclair de jeunes occidentaux haïssant leur bloc civilisationnel déleste la gauche radicale d’une partie potentielle de ses zélateurs les plus remontés. En réalité, ces jeunes sombrent dans l’extrême droite idéologique : tradition, morale, violence, folklore réactionnaire et passion identitaire. Car en effet, l’idéologie islamiste est par nature d’extrême droite, crypto-raciste et fasciste.
L’hypothèse de l’islamo-gauchisme est donc d’autant plus surprenante : derrière l’alliance de raison avec un certain islamisme, le gauchisme s’allierait plus profondément avec une frange « exotique » de l’extrême droite. Cette ruse ahurissante de l’histoire a le profil d’une mutation virale apocalyptique. Sa réalité n’est pas concrète, mais plutôt potentielle et vaporeuse, ce qui complique énormément le diagnostic sur l’islamo-gauchisme. Nous savons par ailleurs que certaines filières d’extrême droite échangent des armes en toute quiétude avec l’internationale islamiste. Ici aussi, il serait envisageable de dénoncer certains liens, certains réseaux : les islamo-dextristes pourraient constituer la mouvance de demain, déjà décelables – pour certains – dans les cénacles soraliens et dieudonniens.
On se souvient de la stupeur qu’avait suscité le NPA d’Olivier Besancenot en présentant une candidate voilée en 2010 (Ilham Moussaïd). A cette occasion, Jean-Luc Mélenchon avait fermement réagi :
« C’est une erreur. Le mouvement ouvrier a toujours payé le passage à la religion et à l’ostentation. Ça empêche l’unité» (Marianne, 4 février 2010)
A droite, les commentateurs balaient d’un revers de main cette complexité idéologique présente au sein de la gauche, martelant que l’islamo-gauchisme est une réalité d’évidence. Dans les colonnes poivrées de Valeurs actuelles, Gilles-William Goldnadel est allé jusqu’à affirmer que l’islamo-gauchisme existe au-delà-même des frontières de la gauche. Le 5 janvier 2016, sur le mur des commentaires web de la ligue de défense juive, un certain Olivier émet un rude constat :
« Le rôle de l’extrême gauche dans la montée du climat de haine actuel est indiscutable. Il n’y a pas un article, une tribune ou une prise de position d’une certaine extrême gauche qui ne soit pas une dénonciation permanente des crimes de l’occident»
De fait, une profonde rancœur existe contre une partie de la gauche, accusée de pactiser avec le diable par simple haine de soi : il s’agirait donc d’une forme de suicide collectif, ou plus prosaïquement de masochisme pervers. Inconsciemment peut-être, les héritiers de la mystique marxiste ouvriraient les portes de l’empire à un feu régénérateur, afin de finir noirs et carbonisés. Ce fantasme délirant pourrait jouxter le mythe.
Il est aussi absurde que bien des sentiments, débondés sans complexes dans les différents médias mainstream de France, d’Europe, mais aussi du Moyen-Orient.
Pierre-André Bizien
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