Racisme anti-asiatique, témoignages d'Occident

Le racisme anti-asiatique en Occident provoquera-t-il à terme la radicalisation de la “minorité modèle” ? 

 

La diaspora asiatique des pays occidentaux est victime d’agressions fréquentes, qu’elles soient physiques ou verbales ; depuis la pandémie de Covid, elle s’est vue accusée de propager le virus, et on remarque une recrudescence des attaques à son encontre : harcèlement de rue et sur les réseaux sociaux notamment. En Australie, un Sino-Australien sur cinq déclare avoir été attaqué ou menacé depuis le début de la pandémie. Dans ce contexte délétère, quel avenir social attend les Asiatiques d’Occident ? Plus largement, à quelles réalités sociales font face les Asiatiques établis en Occident ?

 

“Péril jaune”

 

“Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera”, aurait dit Napoléon à Sainte-Hélène. Un siècle plus tard, la question du “péril jaune” s’installe dans une partie de l’opinion publique occidentale. En France, le Petit Journal, quotidien parisien conservateur, s’en fait le relai dans son édition du 15 janvier 1905. Alarmiste, il l’estime être “fatal, inéluctable et prochain”. Pourquoi ? Plusieurs évènements de l’époque concourent à alimenter cette hantise ; citons la guerre russo-japonaise, qui se solde en 1905 par la défaite d’une armée “blanche” face à une armée de “couleur” (le Japon défait la Russie). L’Occident est alors saisi d’effroi devant le coup de force nippon. Plus profondément, l'exode vers l’Occident de nombreuses populations asiatiques suscite beaucoup de réactions. Revenons sur la chronologie de cet exode.

 

Un racisme banalisé fondé sur des clichés persistants

 

 

Les stéréotypes visant les immigrés asiatiques en Occident sont multiples ; selon la sociologue d’origine taïwanaise Ya-Han Chuang, “le stéréotype veut que l’Asiatique soit travailleur, réussisse, mais il est aussi associé à des caractéristiques plus négatives: docile, discret, sournois” (Le Monde, 31 mars 2021). L'hostilité contre les personnes d'origine asiatique, s’expliquerait-elle donc par des stéréotypes liés au succès ? Aux États-Unis, “les immigrés chinois sont près de deux fois plus diplômés de l’université que l’Américain moyen. L’hyper-sélectivité a engendré le stéréotype que les Sino-Américains (et Asiatiques-Américains plus généralement) sont intelligents, compétents et travailleurs. Mais ils sont aussi vilipendés pour être trop intelligents, trop concentrés sur les études, ennuyants et manquant de qualités personnelles” (The New-York Times, 23 juin 2018). 

 

Le stéréotype de la réussite économique des Asiatiques est relativisé par les fortes inégalités socio-économiques qui existent parmi eux ; entre autres exemples, citons que les femmes de ménages philippines, les masseuses assassinées à Atlanta - lors de la fusillade du 16 mars 2021 -, ainsi que les livreurs chinois récemment immigrés, vivent avec moins en moyenne que leurs équivalents hispaniques. Autre cliché célèbre entre tous: les Asiatiques seraient tous présumés Chinois ; en vérité, l’Asie compte au sens large une quarantaine de pays dont une dizaine d’États rien qu’en Asie du Sud-Est (Birmanie, Thaïlande, Brunei, etc.). De plus, ceux-ci jouissent d’une grande diversité (ethno-linguistique, culturelle, religieuse…).

 

 

Témoignages

 

-Maryline Zheng, une jeune étudiante française d’origine asiatique, dénonce les clichés dont sa communauté est victime :

"Moi ce qu'on me dit souvent, c'est que le Chinois, c'est de la mauvaise qualité, ce ne sont que des vendeurs de nems, des mafieux, des prostituées, de l'argent opaque. Tous les jours on nous renvoie ces clichés. Pour quelqu'un comme moi qui suis née en France, qui ai étudié à l'école de la République, c'est très violent, très choquant” (Francetvinfo.fr, 27 janvier 2014).

-Jieh-Yung Lo, directrice d’un Centre Asiatique-Australien, confie :

"Bien que je sois née à Melbourne, la discrimination a occupé une grande place dans ma vie en raison de mon origine ethnique (…) Du racisme pur et simple dans les cours de récréation de l'école, en passant par le "plafond de bambou" au début de ma carrière professionnelle, la gestion des préjugés inconscients sur le lieu de travail et, ces dernières années, la remise en question de mon allégeance et de ma loyauté envers l'Australie en raison de ma contribution au débat public sur les relations bilatérales de l'Australie avec la Chine” (abc.net.au, 2 novembre 2020).

-Lee Wong, un membre du conseil d’administration de l’Ohio (Nord-Est des États-Unis) d’origine asiatique, a montré ses cicatrices dans une mairie le mardi 23 mars 2021; l’ancien combattant, blessé alors qu’il servait dans l’armée américaine, s’exclame :

“Est-ce que c’est assez patriote pour vous ?”. L’homme affirme ensuite avoir subi de nombreux cas de discrimination puis déclare : “Les gens remettent en question mon patriotisme, disent que je n’ai pas l’air assez américain, ils ne peuvent pas surmonter ce visage (…) Je n’ai pas à vivre dans la peur, l’intimidation ou les insultes” (HuffPost, 28 mars 2021).

Au-delà des remarques déplaisantes, voire racistes, les Asiatiques sont parfois victimes d’agressions physiques, et, dans certains cas extrêmes, trouvent la mort.

 

Violences contre les Asiatiques 

 

Au Canada, le rapport intitulé “Une année d’attaques racistes : le racisme anti-asiatique au Canada après un an de pandémie de COVID-19” - l’étude se base sur les 643 incidents signalés entre le 10 mars et le 31 décembre 2020 sur des plateformes en ligne - souligne que les femmes, les personnes âgées, les jeunes et les individus ayant un emploi à faible revenu ou ne parlant pas anglais ont été les plus vulnérables aux attaques ; en outre, la plupart des incidents se sont produits dans des espaces publics (Radio-Canada, 24 mars 2021). Aux États-Unis, “comme les épiciers coréens tabassés et spoliés par les émeutiers des ghettos de Los Angeles en 1992, les Asiatiques sont aussi, souvent, aujourd’hui les victimes d’agresseurs noirs, frustrés par leur prétendue supériorité sur l’échelle raciale américaine.” (Libération, 19/03/2021). 

 

En France, en 2016, un couturier chinois de 49 ans, Chaolin Zhang, est décédé à Aubervilliers à la suite d’un vol à l’arraché perpétré par trois jeunes hommes issus d’une cité voisine ; en garde à vue, l’un des agresseurs confesse : “Les personnes d'origine asiatique ont plus d'argent. On a entendu souvent dire que les Chinois ont beaucoup d’argent”. Cette mort tragique provoque alors des manifestations massives de la communauté asiatique établie dans l’hexagone. En 2020, des appels à "agresser chaque chinois" en Île-de-France sur les réseaux sociaux ainsi que de nombreux messages à caractère raciste et des appels à la violence à l’encontre des Asiatiques -massivement relayés sur Twitter lors de l’annonce du second confinement -, plonge de nouveau la communauté asiatique dans la peur et le désarroi.

 

La “minorité modèle” est-elle sur le point de se rebeller ?

 

En Occident, les Asiatiques sont généralement associés à l’image de “minorité modèle”, qui a réussi à mieux s’intégrer que les autres populations immigrées ; selon certains, ceux-ci sont l’archétype de l’éthique du travail, des valeurs familiales et de la soumission aux lois. Cependant, une colère sourde gronde… L’explosion est-elle proche ? De fait, après des décennies à courber l’échine en toutes circonstances (subir le racisme sans jamais faire de vagues notamment), une partie des jeunes générations issues de la diaspora asiatique et fortement occidentalisée - donc plus encline à la prise de parole publique -, exprime son ras-le-bol.

En Amérique du Nord certains Asiatiques s’organisent, en particulier les commerçants ; ceux-ci prennent des cours d’autodéfense afin de pouvoir réagir en cas d’agression, ou emploient des agents de sécurité dans le but de protéger leurs affaires. Jusqu’où ira cette escalade ? 

 

 

Evolution de l’immigration asiatique en Occident 

 

 

Nous entendons par “Occident” : les États-Unis, le Canada, l’Europe occidentale de l’Ouest, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. 

 

Nous entendons ici par Asiatiques, schématiquement les populations issues de l’Asie du Sud-Est, de Corée et du Japon. 

 

-États-Unis

 

L’immigration asiatique en Amérique du Nord est significative à compter de la seconde moitié du XIXe siècle, c’est-à-dire au moment du plein épanouissement territorial des deux futurs géants nord-américains. Aux États-Unis, dès 1850, des chercheurs d'or chinois se fixent en Californie ; cependant, ceux-ci sont rapidement chassés de leurs exploitations au profit de prospecteurs d’origine européenne. Entre 1865 et 1869, la construction d'un chemin de fer transcontinental requiert le recrutement massif d’ouvriers ; parmi eux, près de 15.000 Chinois sont enrôlés. “Depuis la fin du XIXe siècle, plusieurs lois américaines, telles que le Chinese Exclusion Act de 1882 ou le National Origins Act de 1924, interdisaient toute immigration asiatique aux Etats-Unis. Ce n'est qu'en 1965 que l'Immigration and Nationality Act a ouvert la voie aux migrations en provenance de l’Asie” (Valentine Pasquesoone, Le Monde, Les Asio-Américains, une minorité en plein “essor”, 20 juin 2012). 

 

À l’issue de la guerre du Vietnam (1959-1975), les États-Unis accueillent près d’1 million de Vietnamiens ; ceux-ci arrivent en plusieurs vagues successives dont la première (plus de 175.000) intervient dans les deux ans après la chute de Saigon. Parallèlement, d’autres Asiatiques (Japonais, Coréens, etc.) émigrent par intermittence au pays de l’oncle Sam. De nos jours, les Asio-Américains constituent près de 6% de la population américaine, soit quelques 20 millions de personnes sur un total de 331 millions d’habitants ; les deux groupes les plus représentés sont les Chinois (5,5 millions) et les Philippins (4,5 millions). Mentionnons aussi les 360.000 étudiants chinois. En 2065, selon les projections démographiques, les Asio-Américains constitueront près de 10% de l’ensemble de la population américaine… contre 40 à 45% pour les Latinos !

 

-Canada

 

En 1858, la découverte d’or dans l’actuelle Colombie-Britannique (Ouest) provoque la migration de Chinois vers le territoire nord-américain ; à terme, Barkerville sera le foyer de la première communauté chinoise du Canada. Notons que jusqu'en 1867, le Canada n'est constitué que de petites colonies indépendantes sous domination britannique avant de devenir la Confédération canadienne ; en 1871, la Colombie-Britannique devient la sixième province canadienne. Entre 1881 et 1884, 17.000 Chinois s’établissent au Canada afin de participer à la construction du chemin de fer “Canadien Pacifique” ; la majorité des migrants est originaire du sud de la Chine. 

 

En 1885, la “Loi de l'immigration chinoise” impose un droit d'entrée de 50$ (porté à 100$ en 1900 puis 500$ en 1903) à toute personne d'origine chinoise souhaitant entrer au Canada ; ce faisant, ces restrictions freinent considérablement ladite immigration. En?1923, le Parlement canadien adopte une loi qui restreint pratiquement toute immigration chinoise dans le territoire ; celle-ci est néanmoins abrogée en 1947. Entre 1975 et 1995, le Canada accueille notamment une centaine de milliers d’Indochinois sur son sol. En 2016, on dénombre 1,8 million de Chinois ainsi que 837.000 Philippins ; ces derniers sont venus massivement à partir des années 1990. En 2020, le pays compte 38 millions d’habitants. 

 

-Europe

 

En Europe, l’immigration asiatique est significative à partir des grands conflits du XXe siècle ; entre autres migrations, lors de la Première Guerre mondiale, 140.000 Chinois sont recrutés par les autorités françaises et britanniques pour pallier le manque de main d’œuvre ; selon l’historienne Véronique Poisson, “d’après une lettre de légation de la république de Chine à Paris, datant du 22 décembre 1926, 2 500 travailleurs chinois seraient restés en France après leur contrat” (Les grandes étapes de cent ans d'histoire migratoire entre la Chine et la France). 

 

Le chercheur Liém-khê Luguern précise que c’est le phénomène des boat people (“réfugiés de la mer”) à partir de 1975, qui donne un coup de fouet à l’immigration asiatique dans l’Hexagone. Les migrants sont alors originaires de l’ex-Indochine : Cambodge, Laos, Vietnam - dont une partie est elle-même d’origine chinoise. Selon l’ONU, entre 1975 et 1995, par voie de mer (boat people) et de terre, la guerre du Vietnam, le génocide cambodgien ainsi que, dans une moindre mesure, la dureté du régime communiste laotien, entraînent la migration de près d’1,4 million d’Indochinois ; près de la moitié fait souche en Occident : entre juillet 1979 et juillet 1982, plus de 20 pays dont les États-Unis, l’Australie, la France et le Canada, accueillent 623.800 réfugiés indochinois (95.000 s’installent en France, 20.000 au Royaume-Uni, 19.000 en Allemagne…). 

 

De nos jours, parmi les populations asiatiques présentes au sein de l’Union Européenne, l’une des plus importantes est incontestablement la communauté chinoise, forte de près de 2 millions de personnes - dont quelques 700.000 membres sont établis en France et 450.000 au Royaume-Uni. Soulignons que la diaspora chinoise, qui totalise près de 50 millions de personnes (1,3 milliard de Chinois) à travers le monde, vit essentiellement en Asie : Thaïlande (10,4 millions), Indonésie (7,67 millions), Malaisie (7,5 millions)… 

 

-Australie et Nouvelle-Zélande

 

Le peuplement de l’Australie par l’immigration européenne débute en 1788. “La ruée vers l’or des années 1850 amène des émigrants grecs et italiens mais aussi chinois. La peur du “péril jaune”, la montée du racisme et du nationalisme conduisent les autorités australiennes à exclure les non-Européens à partir de 1901 (…) En 1973, l’Australie abolit sa politique d’immigration blanche et accepte de nouveaux arrivants d’Amérique latine et d’Asie” (Catherine Wihtol de Wenden, Atlas des migrations). Entre 1975 et 1995, l’Australie accueille notamment 137.000 Indochinois sur son sol. Actuellement, près d’un quart des 25 millions d’habitants de l’île-continent?est né à l’étranger ; une partie d’entre eux est originaire d’Asie (1,22 million de Chinois, 300.000 Philippins…).

 

Relatif à l’immigration asiatique en Nouvelle-Zélande, celle-ci est relativement récente et faible même si elle connaît ces dernières décennies un accroissement spectaculaire. Ainsi, en 1970, quelques centaines d’Asiatiques seulement se fixent dans le pays ; entre 1986 et 2006, le nombre de résidents néozélandais nés en Asie explose, passant de près de 34.000 à… 250.000 (soit 7 fois plus !). En 2006, quelques 354.000 résidents néozélandais s’identifient eux-mêmes comme ayant une origine ethnique asiatique (Chinois, Coréens, Philippins…). En 2020, la Nouvelle-Zélande compte 5 millions d’habitants. En 2026, selon les projections démographiques, les Néozélandais d’origine asiatique seront près de 700.000.

 

Jérémie Dardy

 

 

Pour aller plus loin 

 

 

-Rosalind S. Chou,?Joe R. Feagin, Myth of the Model Minority: Asian Americans Facing Racism, Routledge, 2014

-Ya-Han Chuang, Une minorité modèle ? Chinois de France et racisme anti-Asiatiques, La Découverte, 2021

-John Kuo-Wei Tchen, Dylan Yeats, Yellow Peril!: An Archive of Anti-Asian Fear, Verso, 2014

-Lon Kurashige, Two Faces of Exclusion: The Untold History of Anti-Asian Racism in the United States, University of North Carolina Press; Illustrated edition, 2016

-Erika Lee, The Making of Asian America: A History, Simon & Schuster, 2016

-Simeng Wang, Illusions et souffrances : Les migrants chinois à Paris, Rue d’Ulm, 2017

-Catherine Wihtol de Wenden, Atlas des migrations, Éditions Autrement, 2018 

-Libération, Philippe Coste, Les Etats-Unis rattrapés par le racisme anti-asiatique, 19/03/2021

-Le Monde diplomatique, Isabelle Lausent-Herrera, Heurs et malheurs de la communauté japonaise, Juillet 1990

-Marine Le Breton, HuffPost, Pendant le Nouvel an lunaire, les clichés sur les Asiatiques sont encore plus visibles, 25/01/2020

-Véronique Poisson, Les grandes étapes de cent ans d'histoire migratoire entre la Chine et la France, Hommes & Migrations, 2005

-abc.net.au, Max Walden, More than eight in 10 Asian Australians report discrimination during coronavirus pandemic, 2 novembre 2020

-ONU/UNHCR, La fuite de l’Indochine https://www.unhcr.org/fr/4ad2f957e.pdf

-https://www.reuters.com/article/us-australia-china-diplomacy-idUSKCN2AV0B4

-https://www.migrationpolicy.org/article/immigrants-asia-united-states-2020

-HuffPost, Contre le racisme anti-asiatique aux États-Unis, cet ancien combattant montre son torse, 28 mars 2021

Tube du rappeur Lee Djane - “Ils m'appellent Chinois” https://www.youtube.com/watch?v=Zrob73hBgFc 

 


 

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