Lancé en France en 2013, le moteur de recherche Qwant se présente comme un champion du respect de la vie privée. Quelles sont les caractéristiques de son modèle de développement ? En quoi son succès pourrait-il contrer l’hégémonie de Google en Europe ?
Créé à l’initiative d’Éric Leandri et de Jean-Manuel Rozan, Qwant connaît une forte croissance depuis le printemps 2015. Dès l’origine, le moteur français propose un outil de recherche sur internet qui respecte la vie privée de ses utilisateurs. Le défi est de taille car en 2016 le géant américain Google a cumulé 92,3 % des parts de marché en Europe et 94,1 % en France.
En outre, plus qu’un simple « search engine », la firme de Mountain View met à disposition un ensemble intégré de solutions (Gmail, YouTube, Google Drive, Google Maps, Google Earth, Google+, Google Photos, Chrome, Android…) qui la rend presque incontournable. Ce quasi-monopole de Google pose de sérieux problèmes éthiques quant à l’utilisation commerciale des données personnelles de milliards d’utilisateurs. Effectivement, le modèle économique de Google se fonde sur l’utilisation d’algorithmes qui permettent un profilage et un traçage extrêmement ciblés des internautes.
Pourtant, de l’aveu même de ses fondateurs, Qwant n’a pas la vocation de devenir un nouveau Google mais de constituer une alternative crédible au moteur de recherche américain. Pour parvenir à cet objectif, la société a reçu en 2014 l’appui du groupe d’édition allemand Axel Springer qui est entré à hauteur de 20 % dans son capital. En octobre 2015, quelques mois après le lancement de sa nouvelle version, Qwant reçoit 25 millions d’euros de la Banque Européenne d’Investissement ce qui lui permet de renforcer ses équipes, d’acquérir de nouveaux serveurs et de développer sa technologie.
Pour Éric Leandri, cet engagement de la BEI révèle que « [...] les acteurs français, allemands et européens considèrent que Qwant a une place à prendre dans le panorama numérique européen. Cela ne fait pas de Qwant un succès planétaire en soi, nous en sommes bien conscients, mais c'est un signal très encourageant et cela va nous aider à grandir. ». Depuis, l’entreprise a annoncé recevoir 18,5 millions d’euros supplémentaires dont 3,5 millions de la part du groupe Springer. Les 15 autres millions sont financés par la Caisse des Dépôts qui détient désormais 20 % du capital de Qwant.
L’an dernier, le moteur hexagonal a traité 2,6 milliards de requêtes et connaît actuellement une croissance de son audience de 20 % par mois. Aussi, le moteur de recherche atteint 1,2 % des parts de marché en France et 1 % en Allemagne. D’ici 2019, la start-up souhaite capter 5 à 10 % des parts de marché sur le Vieux Continent alors que le « search » en Europe représente à lui seul 22,5 milliards d’euros. Qwant dirige donc ses efforts vers d’autres pays et notamment l’Italie, l’Espagne, la Pologne, le Portugal et le Brésil.
De plus, ces deux dernières années, la société française a décliné son moteur de recherche en une version « Lite » destinée aux vieilles machines et aux connexions internet à faible débit ainsi qu’une version « Junior ». En janvier 2015, un partenariat a même été conclu avec l’Éducation Nationale pour faire de Qwant Junior le moteur de référence dans les établissements scolaires. En juillet 2016, Qwant s’est aussi associé à la Fondation Mozilla à travers une version du navigateur Firefox optimisée pour fonctionner avec son moteur de recherche.
En janvier 2017, la start-up lance une application destinée à fonctionner sous iOS et Android. Ce lancement marque une nouvelle étape dans la stratégie de Qwant car la téléphonie représente environ 70 % de la navigation sur internet. Il s’agit donc d’élargir le marché de Qwant en offrant utilisateurs de smartphone une option leur permettant de protéger leurs données personnelles.
Cette posture n’a rien de surfait car en Europe 71,2 % des téléphones portables fonctionnent sous Android, 21,2 % sous iOS et 6,8 % sous Windows Phone. Du point de vue d’Éric Leandri la situation est urgente car les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) utilisent le mobile comme un « cheval de Troie » pour « accumuler davantage de données sur les individus ». Au-delà des arguments marketing, les fondateurs de Qwant sont également conscients que la réussite de leur moteur de recherche contribuerait à « l’indépendance technologique et à la souveraineté de l’Europe ».
En réalité, la popularité de Google et son hégémonie sur le référencement des informations sur le web lui donne un pouvoir économique et politique considérable. Pour autant, les exemples de la Russie et de la Chine où les moteurs nationaux Yandex et Baidu occupent 45 % et 70 % des parts de marché contre 51 % et 2,5 % pour Google, montrent que la domination de la firme de Moutain View n’est pas une fatalité.
Si les objectifs de Qwant à moyen terme paraissent dérisoires, capter 5 à 10 % du marché des moteurs de recherche en Europe reviendrait à surclasser Yahoo et Bing. Néanmoins, face à des centaines de millions de personnes qui par fatalisme, facilité et / ou inconscience livrent leurs données personnelles aux mastodontes du web, l’argument de la protection de la vie privée montre ses limites. À cet égard, les faibles parts de marché des métamoteurs anonymes DuckDuckGo et Ixquick démontrent que Qwant va devoir batailler dur pour s’imposer.
Concrètement, pour cette entreprise il s’agit d’atteindre le seuil de rentabilité d’ici trois ans tout en portant sa masse salariale de 70 à 1000 salariés. En outre, sur le plan technique, Qwant doit prouver sa capacité à remplacer avec efficacité les fonctionnalités de ses concurrents, et d’autre part de démontrer ses aptitudes à innover en proposant des services originaux à l’instar de « Qwant Music ».
Enfin, pour gagner en visibilité, le moteur français doit accentuer les partenariats avec l’ensemble des acteurs soucieux de « dégoogliser » le web. Au final, le pari de Qwant paraît fou au regard des 3,3 milliards de requêtes que traite Google Search chaque jour, mais il est réaliste face au gigantisme du marché de la recherche d’information sur internet. Nul doute qu’avec de l’audace, le moteur français y taillera son propre territoire et peut-être contribuera-t-il à opérer une révolution quant aux habitudes des internautes européens.
Alexandre Depont
Pour aller plus loin
Pour utiliser Qwant :
https://www.qwant.com/
Articles :
ARNULF Sylvain, « Qwant : 25 millions d’euros pour passer d’un moteur de recherche français à un moteur de recherche européen », L’usine digitale, 28 octobre 2015. www.usine-digitale.fr
AUFRAY Christophe, « Chiffres clés, les OS pour smartphones », ZDNet, 18 novembre 2016. www.zdnet.fr
BARROUX David, « Faire trembler Google », Les Echos, 02 février 2017. www.lesechos.fr
BRAUN Elisa, « Qwant lance un moteur de recherche mobile plus respectueux de la vie privée », 26 janvier 2017, Le Figaro. www.lefigaro.fr
CHAFFIN Zeliha, « Le moteur de recherche français Qwant s’allie avec Mozilla », Le Monde, 04 juillet 2016. www.lemonde.fr
CUNY Delphine, « Polémique sur Qwant, le nouveau moteur de recherche français révolutionnaire », La Tribune, 18 février 2013. www.latribune.fr
DORNE Manuel, « Qwant, mon retour après un mois de test », Korben, 18 mai 2015. https://korben.info/
EUDES Yves, « Qwant, le petit moteur de recherche anonyme qui monte », Le Monde, 22 juin 2016. www.lemonde.fr
RAULINE Nicolas, « Qwant lève 18,5 millions d’euros pour percer sur le marché de la recherche », Les Echos, 02 février 2017. https://business.lesechos.fr
ROLLAND Sylvain, « DuckDuckGo, Qwant… les anti-google ont le vent en poupe », La Tribune, 28 juin 2015. www.latribune.fr
SAYEJ Nadja, « Le moteur de recherche français Qwant pense pouvoir renverser Google », Motherboard, 20 janvier 2017. https://motherboard.vice.com
SOUTHERN Matt, « Qwant, a french search engine, thinks it can take on Google », Search Engine Journal, 19 janvier 2017. www.searchenginejournal.com
ZIRAR Wassinia, « Qwant junior, le moteur de recherche français sécurisé choisi par l’Éducation Nationale », L’usine digitale, 16 janvier 2015. www.usine-digitale.fr
Émission :
L’entretien de l’intelligence économique - « Les empereurs du numérique, quand le digital défie le droit » - France 24 :
http://www.france24.com/fr/20170215-geant-web-droit-numerique-digital-surveillance-legislation-google-facebook-web
à lire aussi
'' I'm muslim, don't panik '' : qui préjuge de l'Autre ?
« I’m Muslim, don’t panik ». La semonce claque, impérieuse et péremptoire. Elle est reprise des paroles du morceau « Don't panik », écrit et interprété par le rappeur français Médine.
Un dimanche soir à Pompidou
Focus sur le climat hallucinogène de la bibliothèque du Centre Pompidou.
Racisme ''ordinaire'' sur Facebook
Facebook héberge quotidiennement des propos d'un racisme inouï, à la mesure de celui qui sévissait outre-Rhin au cours des années 30
Alain Finkielkraut, l'islam et les musulmans
Comment Alain Finkielkraut pense l'islam et les musulmans. Est-il raciste?
Vous aimerez aussi
La guerre Iran-Irak (1980-1988). Crimes de guerre, chiffres et victimes
Analyse détaillée de la guerre Iran-Irak: armes chimiques, massacres, chiffres et victimes
Anecdotes littéraires - Bukowski, François Cheng, Chateaubriand...
Anecdotes littéraires, Charles Bukowski, François Cheng, Chateaubriand, Maupassant...
Tariq Ramadan, les paroles subversives
Tariq Ramadan, théologien-prédicateur électrique. Au-delà des méandres de son discours, quelques traits émergent, coupants, subversifs. Méditons-les, quoi que l'on pense de la personnalité de leur auteur.
Le massacre du peuple Herero. Un autre génocide en Afrique?
Focus sur l'histoire du massacre des Hereros de Namibie. S'agit-il d'un génocide oublié?