La France est-elle coupable de son histoire? La question de ses crimes - colonisation, Afrique

 

Le dossier s’avère très chargé, des deux côtés de la balance. Voici ce que tout citoyen peut constater, s’il compulse les sources disponibles sur cette thématique abrasive. Pour autant, aborder la question des crimes de la France au cours du passé n’est pas fatalement voué à la déroute intellectuelle : la polémique n’est pas mauvaise en soi, et le caractère passionnel d’une argumentation n’invalide pas d’office cette dernière, du moins si l’honnêteté demeure souveraine. Surtout, Albert Camus nous prévient que l’objectivité peut être une complaisance (Carnets, 1949)… Quant à la subjectivité, rien n’empêche après tout celle-ci de tomber juste. 


Par son histoire tumultueuse et le caractère universaliste de ses prétentions, la France se retrouve souvent accusée du pire ; sur un plan moral et humanitaire, on lui reproche d’avoir failli à ses idéaux, et d’avoir causé la mort d’innombrables personnes (spécifiquement en Afrique).


Avant d’analyser par le détail les arguments accusatoires, indiquons notre positionnement personnel : non pas la neutralité, l’hostilité, mais une certaine inclination affective envers un pays qui nous a nourri, formé, protégé, et parfois déçu amèrement. La France nous semble un rêve en continuelle agonie ; un projet grandiose victime de légèretés permanentes ; une incarnation de l’idéal humain qui aurait attrapé la vérole en "aimant" trop. Un chaud-froid sentimental perpétuel, exaspérant… 

 

Evaluer la culpabilité de la France dans l'absolu, et soustraire le reste du monde 

 

Dissoudre la faute morale de la France en prétextant la bassesse éthique des autres nations, ce n'est pas correct en soi. Cependant l'excès inverse et très pratiqué, la focalisation critique contre la France à l'exception du reste du monde, permet techniquement le procédé: il recontextualise les faits, et nous lui cédons méthodologiquement pour cette raison (la France demeurant intégralement coupable de ses forfaits par ailleurs). 


On pourra donc juger la France avec autant de sévérité qu’on voudra. Mais si la France devait être reconnue coupable devant l’humanité, combien davantage faudrait-il juger infâmes les autres nations du monde ! Combien d'entre elles n'ont pas massacré autant qu'elles ont pu? Combien d'entre elles ont développé une armature morale assez puissante pour aller jusqu'à s'accuser elles-mêmes de ce qu'elles faisaient? Combien d’entre elles ont su générer davantage de principes humanistes et de lois en faveur des libertés de la pensée ? La France semble à bien des yeux monstrueuse, seulement parce qu’elle tombe d’une altitude morale vertigineuse ; historiquement, l’actif du reste de l’humanité fut vingt fois moindre, mais son élévation morale était déjà fort basse… dès lors, l’écart entre le pays réel et le pays symbolique est plus réduit que pour la France.


Un phénomène similaire est identifiable sur le plan des religions : si l’Eglise et le christianisme semblent si sales aux yeux des hommes, c’est bien qu’eux seuls avaient atteint une élévation symbolique extrême. Dans les faits, leur actif demeure immense, mais les hommes retiennent ce qui fut au niveau des vilénies communes pour donner le contraste comme bilan. 

 

Si le pays des Droits de l’Homme a tant d’accusateurs, c’est avant tout parce qu’il a longtemps encouragé les critiques à son propre endroit : la deuxième partie du XXe siècle fut marquée par un contexte idéologique particulièrement fertile en procès accusatoires. Le temps de la décolonisation, le marxisme, le maoïsme, la sociologie, le jeunisme yéyé, le psychologisme chrétien componctif… Autant de courants intellectuels dont la jonction provoqua une méta-psychologie hypercritique envers tous les substrats patriarcaux. La Nation récapitulant symboliquement toutes les dominations légales, les griefs accusatoires s’accumulèrent de toutes parts.

 

Le marché idéologique

 


En janvier 1981, le philosophe Bernard-Henri Lévy publiait «L’idéologie française», ouvrage qui faisait tranquillement de la France le laboratoire du fascisme européen. Quelques générations plus tard, nous héritons d’un pays considérablement déprécié.  Si 37 000 personnes meurent de faim chaque jour sur la planète (Le Monde, 21 avril 2012), c’est certainement du fait de la France ; si Jean-Michel Coëffeur, ancien journaliste retraité, s’est reconverti dans les braquages dans la région de Blois en 2013, c’est certainement parce qu’il fut abandonné par son pays. Etcetera.


Crimes et massacres furent bien commis au nom de la France tout au long de l’histoire, et ce constat concerne chaque pays souverain. Cependant, tous n’ont pas le même rapport critique à leur passé. (Se souvient-on qu'au XVIe siècle le Maroc mit à feu et à sang l'Empire Songhaï pour des motifs de déprédation commerciale? Se souvient-on des ravages coloniaux qu'imposèrent les Turcs dans les Balkans pendant des siècles? Se souvient-on des horreurs du califat de Sokoto au Nigeria, etc? Non, ce qui importe seul, c'est la cécité de la France par rapport à son passé. Le reste, tout le reste ne pèse strictement rien). Certains citoyens, du fait de leur vécu particulier, peuvent apporter certains éléments de réflexion décisifs. Ecoutons à ce titre Niagalé Bagayoko, Française d’origine malienne, chercheuse en relations internationales :


« Il faut aujourd’hui que s’expriment des voix pour témoigner de notre reconnaissance envers la France et les Français, grâce auxquels plusieurs générations ont pu vivre en sécurité et accéder gratuitement à des soins, à une éducation de base ou à des logements décents. Quelles auraient été nos vies si nous avions grandi dans les pays que nos parents ont quittés » (Le Monde, 27 novembre 2015)


Puis :


« En dépit de toutes ses imperfections, si volontiers mises en exergue, il faut saluer avec la dernière énergie le modèle français, qui peut s’enorgueillir d’avoir offert à des milliers de gens des conditions d’accueil que peu de pays peuvent se targuer d’avoir proposées. Nos parents n’ont pas seulement été admis en France à l’issue d’une procédure politico-administrative généreuse, ils ont aussi été intégrés par l’immense majorité de ces Français que l’on accuse si souvent et si injustement de racisme » (Le Monde, 27 novembre 2015)


Cette proclamation d’amour, alors que le terrorisme islamiste venait d’endeuiller le pays, est d’un grand réconfort. Dépourvue de tout caractère universitaire ou scientifique, elle n’en raisonne pas moins plus juste que bien des travaux prétendument objectifs.

 

Esclavage et colonisation

 

Alors oui, la France a colonisé, occupé et exploité des pays. Ce fut aussi le cas de l’Islam, qui occupa une partie de l’Europe pendant des siècles (l’Espagne pour plus de 700 ans notamment). Or, cette colonisation pure et dure est aujourd’hui considérée positivement par l’Europe, qui ne cesse de reconnaître l’apport intellectuel d’Al Andalus, l’Espagne musulmane, à la chrétienté médiévale.


Pourquoi ces bienfaits de la colonisation musulmane, sept fois centenaire, sont-ils reconnus malgré les massacres et injustices afférents, tandis que la colonisation européenne en Afrique, 150 ans au plus, est toujours jugée intégralement négative ? Indice patenté de mauvaise foi historique. Nous pourrions prolonger la comparaison avec la question de la traite négrière (laquelle fut pratiquée plus de mille ans par le monde arabe et "seulement" trois siècles par l’Europe – qui finit elle-même par l’interdire et par imposer son abolition au monde entier) : pourtant, étrangement, l’esclavage demeure un crime d’essence européenne dans les consciences.


On se souvient des rois du Dahomey réclamant à l’Europe l’intensification du trafic au XIXe siècle, afin qu’ils puissent vendre davantage de "cargaison" humaine à l’homme blanc ; on se souvient naturellement du roi Agadja, dépêchant expressément un message qu’il fait lire à la Chambre des Communes anglaise, alors que l’Europe entend cesser la pratique esclavagiste : le texte ose arguer de la chance des esclaves d’être vendus aux Etats-Unis… 

 

Après la haine

 


L’histoire est laide, très laide, et les luttes mémorielles aboutissent à bien des amertumes. Si l’instinct conservateur et droitier s’aveugle en idéalisant l’image de la France, le tropisme de gauche est quant à lui parfois générateur de "haine de soi". Le youtubeur polémiste Aldo Sterone va jusqu’à déclarer ceci :


« La gauche aime l’étranger du moment qu’elle peut s’en servir comme vermine pour détruire son pays. C’est-à-dire que la gauche française part d’un sentiment anti-français à la base ; ils détestent leur pays, ils détestent leur culture, ils détestent leurs racines, ils détestent leur histoire, ils détestent tout ce que leur pays représente, en quelque sorte. Ils auraient aimé être autre chose » (Vidéo Youtube, 24 janvier 2016)


Il est urgent de dépasser les instincts destructeurs, de part et d’autre de l’échiquier idéologique français. La lutte des mémoires communautaires doit être subvertie par la conscience d’appartenir au même destin collectif. Le rêve universaliste de la France sur son propre territoire doit être celui de chacun de ses enfants. L’avenir dépendra de notre manière de penser le mot "nous" : selon la race, l’ethno-religion, ou la citoyenneté républicaine. 

 

Pierre-André Bizien
 

 


 

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