C’est un truisme entêtant, une belle tarte à la crème sur la façade de notre histoire : les aventures libidineuses du bon roi Henri IV, et son rapport vitreux aux femmes du XVIe siècle. Les historiens les plus sérieux font chorus : le Béarnais était pis que paillard. Un véritable prédateur, qui aurait compté quelques 56 maîtresses au bas mot. La vérité est plus déroutante encore.
Le premier souverain Bourbon apparaît sagement dans les manuels scolaires ; on le crédite d’un esprit de tolérance prophétique, à l’heure où les guerres de religion déversent leur apocalypse sur le royaume de France. En se faisant catholique au détriment de son origine protestante (il est pourtant né catholique), en proclamant l’édit de Nantes en 1598, notre homme aurait initié le pays au respect de l’altérité spirituelle. Rien de moins… « Paris vaut bien une messe » : la maxime a traversé les âges, fraîche et pimpante, quoi qu’en dise la véracité historique.
De fait, au cours de sa vie, Henri de Navarre a changé de confession à plusieurs reprises, selon les nécessités qu’imposait le contexte diplomatique. Véritable girouette spirituelle, aussi malléable avec les choses de la foi qu’avec celles de la chair, Henri bénéficie d’une certaine complaisance historiographique : on a solennisé le personnage et sa conscience, enrobant d’un voile mystique ce qui n’était au fond qu’une sorte de nudisme pragmatique.
Henri le facétieux, Henri le pitre joyeux : acides épithètes, qui dépeindraient pourtant assez précisément notre souverain. Pourpoint graisseux, la face en feu, courant la gueuse et les plaisirs au milieu d’une cour perplexe.
« Son existence est une suite ininterrompue de relations sexuelles (…). Tout lui était bon : la paysanne, la prostituée, la bourgeoise, la marquise, la cousine, la nonne… Son obsession dépassait toute mesure (…) Dès qu’il apercevait une frimousse qui lui plaisait, marquise ou ribaude, il descendait de cheval et la lutinait, à même le sol, contre un arbre, dans une étable… »
Henri de Romèges est formel.
C’est un fait, la réalité prosaïque jouxte ici la légende. A l’heure des grands conflits confessionnels et des graves questionnements spirituels que se pose l’Europe, la France est gouvernée par un joyeux soudard enfiévré. Pendant des décennies, il livrera bataille aux frontières tout préoccupé par le gibier du soir. Ces obsessions de chaque instant conduisirent à de nombreuses négligences d’Etat, force est de le constater. D’autre part, Henri ponctionna à grandes brassées dans les finances publiques pour gâter ses maîtresses, les enrichir, enfin se les attacher.
Il fut initialement marié à Marguerite de Valois (la sulfureuse reine Margot, pointée par la postérité comme une traînée décadente). D’un commun accord, les époux se trompent mutuellement. Marguerite est stérile ; Henri se remariera à Marie de Médicis, princesse florentine, qui apportera avec elle la trésorerie qui manque au royaume. Laide, méprisante et violente, elle parasite le quotidien de notre jovial souverain. Qu’importe : ce dernier, depuis des années, entretient des maîtresses de tous types.
Diane d’Andouins (Corisande) fut son premier véritable amour. Une jeune femme qui fut pour lui une confidente dévouée, une mère en quelque sorte. Ainsi le nommait-elle affectueusement « petiot ». Plus tard, il rencontre Gabrielle d’Estrées, singulière entre toutes. Il s’agit d’une demoiselle vénale qui, afin de servir sa propre famille, consent ses faveurs à Henri. Initialement dégoûtée par la saleté du souverain (il aurait eu des poux jusqu’aux aisselles), elle se laisse progressivement posséder.
Engoncé dans sa fraise, le roi lui offre des terres, de l’argent, un cadre de vie somptueux. La belle se fait désirer. Elle couche avec le grand écuyer Bellegarde, cocufiant allègrement son bienfaiteur. Ce dernier se sait bien entendu joué, mais fond pathétiquement devant sa cruelle maîtresse. Il nomme rageusement son concurrent de lit « Feuille-morte », tout en le côtoyant par ailleurs pour les nécessités du quotidien politique. Immersion foraine dans le vaudeville poissard…
Dans une lettre datée du 9 février 1593, il écrit fiévreusement à Gabrielle :
« Je suis et serai jusques au tombeau votre fidèle esclave », en terminant pathétiquement par un « Je vous baise un million de fois les mains ». Une autre fois, il s’abandonne en ces termes : « Soyez glorieuse de m’avoir vaincu, moi qui ne le fus jamais tout à fait que de vous, à qui je baise un million de fois les pieds »…
A vrai dire, sa position hiérarchique, son éminence, ne lui sont d’aucun secours devant les servitudes qu’impose l’amour éperdu. Henri souffre, il a le vague à l’âme. Il se plonge dans le sexe afin de cautériser ses plaies sentimentales, suivant ses éternels penchants naturels. Il viole arpette sur arpette et déflore force gueuses, il se vautre dans la chair, sans trop s’enquérir de la qualité des gibiers alpagués.
Au fil des ans, il attrape d’innombrables maladies vénériennes. Son organisme s’esquinte, se détériore. Son membre viril subit à son tour l’impôt de ces plaisirs éparpillés. Des défaillances sexuelles se font jour. L’une de ses maîtresses, Henriette d’Entragues, ira jusqu’à le surnommer « Capitaine bon vouloir ».
Qu’importe, le Vert galant persévère. En janvier 1609, à 56 ans, il s’éprend follement d’une demoiselle de quatorze ans, Charlotte de Montmorency. Jolie petite puce oblique, qui lui cède professionnellement et lui offre ses derniers moments de volupté. Quelques mois plus tard, la lame de Ravaillac traversera le corps exténué d’Henri le faune. L’histoire éparpilla les chairs et ne garda que l’aloyau.
Pierre-André Bizien
Pour approfondir le sujet :
CASTELOT. A (1998), Henri IV le passionné, Paris, Perrin
DE DECKER. M (1999), Henri IV, les dames du Vert Galant, Paris, Belfond
DE ROMEGES. H (2013), Sexo monarchie, Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon
VINCENT. M (2010), Henri IV et les femmes. De l’amour à la mort, Bordeaux, Ed. Sud-Ouest
GARRISSON. J (1984), Henri IV, Paris, Seuil
BABELON. J-P (1982), Henri IV, Paris, Fayard
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