39-45 : la planète s’embrase. Abwehr, MI6, OSS (ancêtre de la CIA), GRU soviétique… toutes ces agences de renseignements, parfois inexpérimentées, se livrent une lutte acharnée pour influer sur le cours de la guerre. Collecte d’informations, infiltrations, assassinats politiques, opérations d’intoxication, actes de sabotage… tous les coups sont permis.
La guerre se mène souvent loin du front, dans l’ombre tamisée des ambassades ou des grandes villes, dans les campagnes... Ici, pas de combats chevaleresques. La duperie, la trahison, et la ruse supplantent les chars et l’artillerie des belligérants.
L’Angleterre a-t-elle échappée à une invasion terrestre par le seul décryptage d’un message « Enigma » (la machine à chiffrer utilisée par les forces allemandes pour communiquer secrètement) ? La bataille de Stalingrad a-t-elle été en réalité gagnée grâce à l’audace d’un espion allemand ? Le D-Day aurait-il eu une chance de réussir sans les réseaux d’espionnage ?
Dusko Popov, le « vrai » James Bond
Issu d’une famille yougoslave royaliste, ce juriste polyglotte est recruté en août 1940 à Belgrade par l’Abwehr, le service de renseignements, de contre-espionnage et d’action des forces armées allemandes. Il est chargé par les Allemands de monter un réseau d’espionnage en Angleterre à travers une société d’import-export qui sert de couverture. Anti-nazi convaincu, il accepte sa mission à contrecœur, et uniquement dans le but de renseigner les Alliés sur les intentions ennemies. Rapidement recruté par le MI6, le Military Intelligence 6, le service britannique de recherche de renseignements à l’extérieur de la Grande-Bretagne, il va jouer un rôle crucial dans l’intoxication à destination de l’état-major allemand. Agent double, il est « Tricycle » pour les Anglais, et « Ivan » pour les nazis.
A Lisbonne, où il séjourne régulièrement, il prend contact avec ses supérieurs germaniques et leur fournit de nombreuses informations « orientées ». Il indique entre autres un ordre de bataille totalement falsifié, surestimant volontairement le nombre de divisions disponibles des forces alliées, peu de temps avant le débarquement du 6 juin 1944. D’autre part, il divulgue des renseignements vitaux sur les bombes volantes d’Hitler, les V1 et V2, Vergeltungswaffe : « armes de représailles », ancêtres de la fusée. Il prévient même Edgar Hoover en personne, dans son bureau à New-York, de l’imminence d’une attaque japonaise sur Pearl Harbor… mais le patron du FBI ne le croit pas.
Aussi, il communique avec l’Abwehr par radio, encre sympathique, liquide utilisé pour rédiger des messages qui n’apparaît qu’en raison de l’action d’un révélateur thermique ou chimique, et micro-photo de la taille d’un point de machine à écrire que l’on cache dans un texte dactylographié à la place d’un point sur un i ou sous un timbre-poste… technologie qu’il s’empresse d’ailleurs de partager avec les britanniques.
En outre, lors de l’opération « Midas », l’agent yougoslave arrive à soutirer à l’Abwehr l’équivalent de 2 millions de dollars actuels pour financer son soit disant réseau d’espions en Grande-Bretagne, en réalité fictif. L’argent part directement dans les caisses du MI6.
Il inspirera, avec quelques autres agents de sa trempe, le célèbre personnage de James Bond inventé par Ian Fleming, lui-même ancien membre des services secrets britanniques… et un temps en charge de surveiller Popov !
L’Orchestre Rouge
Réseau de renseignement soviétique, le plus puissant implanté en Europe de l’Ouest. Cette organisation clandestine va transmettre à ses dirigeants des informations capitales, notamment des renseignements militaires hautement stratégiques, exclusivement pour le compte de l’URSS. Néanmoins, elle sera démantelée par les Allemands au cours de la guerre.
A sa tête, on trouve Léopold Trepper, un juif polonais charismatique et ingénieux. De 1940 à 1943, ses « musiciens », nom donné par les Allemands en référence au « concert » d'émissions radios clandestines alimentant Moscou, ont envoyé au Centre environ mille cinq cents dépêches.
Il existe deux types de dépêches. Le premier type concerne les moyens matériels de l’ennemi : industries de guerre, innovations technologiques, les différentes gammes d’armement, etc ; le deuxième type de dépêches véhicule des renseignements sur la situation militaire : nombre de divisions, plans d’offensive…
« Dans ce domaine, l’Orchestre Rouge a réussi quelques exploits. Les plans ultra-secrets du nouveau char allemand du type T6-Tigre ont été envoyés à Moscou à temps pour que l’industrie soviétique prépare le tank K.V., qui était supérieur à tous points de vue à l’engin allemand. (…) Les plans du nouvel avion allemand, le Messerschmitt ME-110, prirent sous forme de microfilms, le chemin de Moscou. Quelques mois plus tard, un nouveau chasseur, supérieur au Messerschmitt, sortait des usines soviétiques » (Léopold Trepper, Trepper, le Grand Jeu. Mémoires du chef de l’Orchestre Rouge, 1975).
Par ailleurs, l’organisation compte des membres infiltrés jusque dans l’entourage proche du führer. L’un d’entre eux est sténographe. Il assiste aux réunions du haut état-major allemand, avec Hitler en personne ; ainsi peut-il prévenir neuf mois à l’avance de l’offensive sur le Caucase. En mai 1942, Trepper fournit les microfilms contenant tous les renseignements sur les axes de l’offensive. On peut donc se risquer à affirmer que la bataille de Stalingrad a été gagnée à ce moment précis. En effet, cette information inestimable a donné un net avantage stratégique à l’URSS, et lui a donné les clefs de la victoire. Cependant, le sacrifice de centaine de milliers de soldats soviétiques a énormément contribué à cette victoire des renseignements alliés.
Lors du démantèlement de l’Orchestre Rouge par la gestapo en 1943, Trepper est l’un des rares membres qui échappe à la répression nazie. C’est pourquoi lors de son retour en URSS, Staline, grand paranoïaque, doute de sa survie qu’il juge trop miraculeuse, et suppute que l’espion a collaboré avec l’ennemi ; il le fait enfermer à la Lubianka, bâtiment abritant le ministère de l’Intérieur. L’espion y restera près de dix ans. Par la suite, il est rejugé, lavé de tout soupçon, et même décoré.
Le S.O.E. (Special Operations Executive)
Créée en juillet 1940, l’Organisation des opérations spéciales constitue le service d’action subversive britannique. Il compte près de 13 000 membres – dont 3 200 femmes. Pour Winston Churchill, cette « armée privée » doit « mettre le feu à l’Europe », notamment par le biais d’une série d’opérations clandestines menées dans tous les pays occupés.
Les activités principales du SOE portent sur la subversion, le sabotage, l’instruction et l’armement de maquisards. Les agents risquent quotidiennement leurs vies. Ils sont souvent trahis, arrêtés, torturés et exécutés. Certains finissent en camp de concentration.
Le SOE trouve en la France un terreau fertile. Le Chef du Conseil national de la Résistance (CNR) s’en fait d’ailleurs l’écho :
« Cette masse ardente de Français restés sous la botte ronge son frein et n’attend qu’une occasion pour secouer le joug » (Jean Moulin, octobre 1941).
« Prosper » est l’un des réseaux les plus importants du SOE dans l’hexagone. Les activités de l’Organisation démarrent avec les arrivées de plusieurs agents sur le sol national, dont Andrée Borrel, première femme à sauter en parachute en France occupée, près de Blois.
Aussi, la trahison gangrène tous les réseaux et les conséquences sont désastreuses :
Au printemps 1942, le réseau SOE Autogiro, en région parisienne, dirigé par Pierre de Vomecourt, est découvert et démantelé. L’erreur de celui-ci avait été d’intégrer dans son réseau un ancien agent féminin d’un mouvement de résistance dirigé par un officier polonais à Paris, en liaison avec le MI 6 à Londres. Cet agent féminin, Mathilde Carré, dit « La Chatte », est en fait une amie intime d’un membre de l’Abwehr en poste à Paris ». (Richard Seiler, « La tragédie du Réseau Prosper » - 2003)
D-Day, un chef d’œuvre d’intoxication
Le 23 janvier 1944, le plan bodyguard est adopté par les plus hautes autorités britanniques et américaines. L’objectif vise à détourner l’attention des Allemands de la Normandie puis, dans un second temps, de leur faire croire que le débarquement du 6 juin n’est qu’une diversion.
L’opération comprend entre autres :
- Fortitude Sud, menace allié de débarquement dans le Pas-de-Calais ;
- Fortitude Nord, menace allié de débarquement en Scandinavie ;
- Ironside, menace de débarquement allié dans la région de Bordeaux ;
- Royal flush, action diplomatique sur des pays neutres : Espagne, Suisse, Portugal...
Le plan Zeppelin (février – juin 1944) vise quant à lui à contenir le transfert d’unités allemandes de Méditerranée orientale vers la France. Les Alliés vont alors créer une multitude de menaces d’attaques contre la Grèce, la côte dalmate, les îles de la mer Egée, et les rivages de la Roumanie avec la collaboration des armées soviétiques.
« Les Allemands semblent avoir cru que les préparatifs des assauts étaient véridiques, notamment l’attaque contre la Crète, qu’ils ont considérées comme imminente. Du mois de février au 6 juin 1944 pas une seule division allemande n’a rejoint le nord-ouest de l’Europe pendant les jours critiques d’Overlord ». (Jean Deuve, « Histoire secrète des stratagèmes de la Seconde Guerre mondiale», 2008)
Garbo
Garbo, de son vrai nom Juan Pujol Garcia, est un agent double espagnol. Après avoir été recruté par l’Abwehr, il offre ses services aux Britanniques en 1942. Anti-nazi farouche, et doué d’une grande imagination, il laisse entendre aux Allemands qu’il a créé un réseau de vingt-quatre sous-agents dont il centralise les renseignements. Entre le 8 novembre 1942 et le 6 juin 1944, Garbo expédie aux Allemands quelques quatre cents bulletins de renseignements et deux mille messages radio ; il participe directement au succès du D-Day.
Il fait partie du Comité XX, ou Comité Double Cross. Un réseau créé en décembre 1940, ayant pour objectif de recruter, puis de faire travailler sous contrôle les agents ennemis capturés… comme Roman Zerniawski , alias Brutus, un aviateur polonais fondateur en France du réseau Inter-allié (et tombé aux mains des Allemands en novembre 1941).
Entre le 1er mai et le 6 juin 1944, les services secrets allemands reçoivent près de cent soixante-treize bulletins de renseignements portant sur l’invasion alliée, tous contradictoires. Il leur est donc impossible d’avoir la moindre certitude sur le lieu et la date exacte de l’attaque.
Hitler est convaincu que le débarquement aura lieu dans le Pas-de-Calais, que la Norvège et la Normandie ne sont que des diversions. Le maréchal Rommel partage le point de vue du Führer (pour preuve il ne touche pas aux effectifs de la XVème armée qu’il laisse intacte dans le Nord). Cependant, par prudence, il fait accélérer les travaux de défense sur les plages de toute la Normandie.
Dernière pièce maîtresse du dispositif allié : le FUSAG, First United States Armies Group – Premier groupe d’armées américain. Unité fictive établie dans le sud-est de l’Angleterre, destinée à maintenir le maximum de troupes allemandes face au Pas-de-Calais.
Ultra
En 1941, ce vaste programme mis en place par les Britanniques recouvre l’ensemble des interceptions (qu’elles concernent les machines Enigma ou d’autres systèmes de codes).
Le QG se trouve à Bletchey Park, au nord de Londres. Conjugué au renseignement humain, ce système de collecte d’informations est redoutable. L’une de ses plus grandes réussites réside dans le déchiffrement de quelques machines Enigma. Il en existe alors plus de 40 000 en service au sein des différentes forces allemandes, dont une multitude de modèles différents utilisés par la Luftwaffe, l’Abwehr, la Marine, etc.
Les hommes de Bletchey Park, n’en disposent que d’une cinquantaine, ce qui ajoute à la complexité du déchiffrement. Toutefois, en mai 1942, sur un total de 3142 messages interceptés, 1704 sont effectivement déchiffrés ; soit un taux de succès de 54%.
Ultra a fait échouer l’invasion terrestre de la Grande-Bretagne par l’Allemagne hitlérienne.
Lors de la bataille d’Angleterre, après plus de deux mois de combats aériens acharnés avec la Luftwaffe, la RAF était proche de l’épuisement. C’est alors qu’Ultra intervint avec des renseignements décisifs : Goering allait donner le 15 septembre, appelé Jour de l’Aigle, l’ordre d’assaut final à la Luftwaffe pour anéantir la RAF. Si le jour de l’Aigle réussissait, Hitler donnerait l’ordre d’invasion, sinon il renoncerait. (Anthony Cave Brown, La guerre secrète - 1975).
Les messages radio interceptés et déchiffrés dans le cadre du programme Ultra, ainsi que la prise de risque et le talent de quelques espions, permettront aux Alliés de raccourcir le conflit mondial de plusieurs années.
Jérémie Dardy
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