L'islam interdit-il réellement aux musulmans d'apostasier leur foi? Selon certains théologiens, non, du moins si l'on se penche attentivement sur la tradition islamique originelle. Les procès en intolérance qu'il est d'usage d'intenter contre la religion du prophète pourraient donc, à long terme, s'en trouver fragilisés.
En effet, si la peine de mort fut historiquement largement utilisée contre les apostats musulmans en vertu de justifications textuelles sérieuses, il se pourrait que ces dernières aient été mal interprétées, et surtout habilement décontextuées.
C'est du moins ce que certains penseurs de l'islam affirment. Sans avoir à recourir à des citations bien triées du Coran prônant la "tolérance", il est en effet légitime de s'interroger. Il se pourrait, comme nous l'explique Tariq Ramadan lui-même, que la tradition ait fait l'objet d'un contresens volontaire depuis des siècles:
La tradition (...) se définit bien moins en relation avec les sources et les racines du passé (ce à quoi on la réduit en l'opposant caricaturalement à la modernité) que par les moyens qu'elle se donne pour rester fidèle aux finalités de son avenir" (Islam, la réforme radicale)
Plus concrètement parlant, l'interdiction de changer de religion a été très tôt imposée aux musulmans dans un contexte bien précis: la guerre. Les passages à l'ennemi qui avaient souvent cours alors se traduisaient par un rejet de l'islam. Le clan des musulmans, qui était en ce temps un petit groupe luttant pour sa survie, avait dû prendre des mesures concrètes pour éviter la trahison militaire. Or, puisque l'apostasie se traduisait dans les faits par un passage stratégique au groupe adverse, cette pratique fut rigoureusement interdite, sanctionnée par la peine capitale.
Plus tard, lorsque le monde musulman solidifia ses assises et que l'apostasie ne menaçait plus en rien la survie du groupe, les oulémas ne prirent pas la peine de lever la sanction... d'où un anachronisme criant, qui perdure toujours en dépit du bon sens coranique. En effet, la fameuse liberté de conscience que ce dernier commanderait au croyants serait dès lors en totale opposition vis-à-vis de cette tradition persistante.
Au VIIIe siècle, Abu Sufyan ath-Thawri nous avertissait déjà que c'est Dieu qui juge dans l'Au-delà, et que ce n'est certainement pas aux hommes de le faire en se substituant à Lui. Il serait, dès lors, tout à fait permis aux musulmans d'aujourd'hui de changer de religion.
Laissons enfin le dernier mot au poète Farid al din Attar:
Omar partit en guerre et sortit victorieux. Aux infidèles qui tombèrent sous sa coupe il proposa la foi de l'Islam. Ceux qui acceptèrent furent épargnés, mais les autres, décapités. (...) Lorsque c'est Dieu qui tue l'acte est beau. Mais lorsqu'il vient de toi, il est laid; il est l'oeuvre de l'enfer, alors que dans le premier cas il est du Paradis" (Le livre divin)
Pierre-André Bizien
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