Une autre histoire de l'aviation, de Toni Giacoia - Un livre d'hommage aux pionniers du ciel

Qui fut le premier homme à voler ? A partir de quand l’avion naît-il ? Au fond, ces questions ordinaires sont-elles si pertinentes ? En près de 550 pages, Toni Giacoia nous dresse un passionnant regard sur les origines de l’aviation, au rebours de toutes les histoires labellisées conformes ou officielles.

Il s’agit là d’un risque, ne le cachons pas, mais notre auteur s’en tire avec panache.
La thèse centrale qu’il développe fera grincer des dents et provoquera quelques accès d’apoplexie : non, les frères Wright ne sont pas les premiers à avoir volé. Leur réputation a été magnifiée, et la véritable histoire de l’aviation souffre de cette ombre dévorante. Plus fondamentalement, c’est la réduction de toutes les problématiques à la question "Qui a été le premier à voler ?" qui fait le problème.

« L’histoire de l’aviation démontre que l’obsession du "premier" ne tient pas car les pionniers n’ont cessé d’emprunter les idées d’autres. A part quelques génies comme de Vinci ou d’Esterno, on s’aperçoit que les grandes inventions sont plus probablement des améliorations d’un héritage aéronautique » (Toni Giacoia, Une autre histoire de l'aviation)

En d’autres termes, c’est toute une part de la littérature concernée qui fait fausse route, ou du moins a été mal problématisée:

« On aimerait bien que la réalité historique se résume à une affirmation péremptoire. C’est si rassurant de se dire que l’on sait ce qui s’est passé or l’histoire de l’aviation ne peut bien se lire que dans les détails et avec beaucoup de prudence »

Il s’agirait donc, pour l’avenir, de désenclaver l’histoire de l’aéronautique, de ne plus la réduire naïvement à l’histoire des "grandes premières". Tout au long de l’ouvrage, Toni Giacoia nous démontre que l’invention aéronautique est portée par de multiples personnalités truculentes, hors normes et originaires du monde entier. L’énigme fondamentale à laquelle se sont heurtés tous ces grands pionniers fut la suivante : comment faire voler ce qui est plus lourd que l’air ?

Dépasser le fantasme traditionnel de l'oiseau mécanique

C’est à la résolution de cette équation fascinante qu’ils se sont tous confrontés, avec des succès variables. Toujours, l’ombre du destin d’Icare pesait sur leurs épaules, eux qui osaient investir par effraction le ciel, territoire des dieux depuis toujours... L’auteur s’est astreint à compulser une multitude d’archives provenant de divers pays et continents, afin d’extraire la réalité inédite écrasée sous les refrains officiels.

Les idées et inventions les plus fantasques que le cerveau humain a osé concevoir sont soigneusement répertoriées, analysées, critiquées. Il s’agit bien entendu d’un travail encyclopédique, mais dénué de cette patine universitaire et glaciale qui altère tant d’ouvrages. Le plan choisi est complexe, non strictement chronologique.

Toni Giacoia

Toni s’interroge sur la part de déraisonnable qui structure l’histoire de l’aviation, montrant que le progrès émane pour partie, justement, de cette dimension insolente de l’esprit humain. L’histoire de la "ruée vers l’air" est faite d’incroyables aventures psychologiques intérieures, d’audaces, de paris scientifiques frottés de rêve et de bravade. En 1555 par exemple, un savant fou parvient à lancer un missile de Roumanie… il s’agit de l’Autrichien Conrad Haas, qui y fait décoller une authentique fusée à étages. Il inventa ainsi le missile, grâce à la propulsion à réaction.

Au XVIIe siècle, le Leonard de Vinci anglais, Robert Hooke, imagine une trentaine de façons différentes de voler. Au XVIIIe siècle, le ballon dirigeable est théorisé par Meusnier. En 1852 a lieu un premier vol de dirigeable avec Giffard. Toujours au XVIIIe siècle, le Suisse Bernoulli énonce sa théorie révolutionnaire : tout flux liquide ou gazeux contournant une surface arrondie gagne en vitesse mais perd en pression. Le principe de Bernoulli est le suivant :

P+1/2 p V² + p.g.z = constante du principe de Bernoulli

(P pression ; p masse volumique en Kg/m3 ; V vitesse en m/s ; g attraction terrestre en m/s² ; z altitude en mètres)

En 1861 en France, Gabriel de la Landelle et Gustave Ponton d’Amécourt réalisent un prototype d’hélicoptère avec un moteur à vapeur. A la même époque, un Polonais illettré, Jan Wnek, parvient à voler avec un petit planeur artisanal… en s’élançant du clocher de son village ! Il parvient même à diriger ses vols. En 1875, le mot « avion » semble naître du cerveau de Clément Ader : il est alors utilisé comme un nom propre ! Toujours au XIXe siècle, l’allongement des ailes pour planer est compris par l’Anglais Wenham.

Plus largement, Toni Giacoia rend justice à de grands oubliés de l’histoire de l’aviation, comme Gustave Trouvé, Traian Vuia, le comte Ferdinand d’Esterno ; cet agronome a minutieusement observé le vol des oiseaux et ses suggestions ont été très précieuses. On pense notamment à ses trouvailles sur le vol en virage. Il a aussi réfuté la croyance immémoriale selon laquelle les oiseaux étaient dotés d’une force extraordinaire pour voler.

Il nous rappelle que parmi ces pionniers de légende, nombreux furent ceux qui perdirent la vie au cours d’une expérience de vol : ainsi le britannique Percy Pilcher, tué alors qu’il tentait de voler avec un appareil à ailes en forme de… chauve-souris ! L’ingénieur Alphonse Pénaud, qui concevait des projets visionnaires, se suicida à 30 ans lorsqu’il apprit que le financement qu’il espérait ne lui serait pas accordé.

Au-delà de toutes ces précisions savoureuses, Toni Giacoia rend un long hommage au grand voltigeur de légende Maxime Lenoir, héros de la bataille de Verdun. Ce héros militaire plein de courage et de génie paya de sa vie l’extrémité de ses talents. N’en découvrons pas davantage… et suggérons au lecteur de se procurer toutes affaires cessantes le très beau livre de Toni Giacoia. Comme la découverte du feu, la conquête de l’air fut une révolution d’ordre spirituel. Nous devons l’aborder comme telle, avec humilité et déférence, l’esprit large et sans dogmatisme préconçu.

Pierre-André Bizien

Référence :

Toni Giacoia, Une autre histoire de l’aviation. 550 pages, 21,6 x 27,9 cm, broché, 333 illustrations