«Je n'ai que deux jours à vivre, mais je les emploierai à rendre les ennemis de la raison ridicules»
Placée en épigraphe du Dictionnaire philosophique de 1764, la saillie du chef de file des Lumières donne le ton. Agé de 70 ans, le vieux Voltaire semble avoir voué sa vie à lutter contre l’Eglise. Qu’en fut-il exactement ?
A la vérité, cette dernière fut plutôt sa meilleure ennemie. Loin d’être l’athée intransigeant si souvent célébré, François-Marie Arouet était un déiste plutôt conciliant ; contemporain d’une époque où nombre de prélats ne croient plus en Dieu (Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse…), il partage, avec bien des philosophes, la conviction que le ciel n’est pas vide. Les Révolutionnaires s’en souviendront le 7 mai 1794, lorsque sera institué le culte de l’Être suprême. On ne critique bien que ce que l’on connait bien… En la matière, Voltaire était à l’évidence le plus apte à s’opposer à l’Institution ecclésiastique.
Le jeune Voltaire fait ses études au collège Louis-le-Grand, dirigé par les Jésuites ; il conservera toute sa vie une grande admiration pour les prélats qui l’enseignèrent, ainsi que pour les grandes entreprises missionnaires de la Compagnie de Jésus. Certes, son passage entre leurs mains aura raison de son esprit religieux, mais l’athéisme débridé lui sera totalement étranger. Aussi, c’est bien plutôt le questionnement métaphysique qui le ronge, comme le soulignent ces vers célèbres:
«L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer Que cette horloge existe et n'ait point d'horloger»
Voltaire reconnaît un Dieu à l’origine du monde et Lui attribue une influence dans le fonctionnement de ce dernier. Il rejette par contre, et c’est là que réside la subtilité de sa position, tout intermédiaire entre Dieu et les hommes… d’où procède dès lors sa lutte contre les religions positives et leurs traditions délétères.
L’œuvre de Voltaire foisonne de références au « géomètre éternel », à l’« architecte », au « pragmatique ». Décidément, notre homme ne lutte pas contre Dieu, mais contre le fanatisme religieux et l’intolérance. « Dieu ne doit point pâtir des bêtises du prêtre » peut-on lire dans l’une de ses lettres. Manifestement, la pointe de son message s’est perdue en se dissolvant dans le domaine public.
Voltaire a concentré toute son ironie et son sens de la formule au service de cette cause : « On entend aujourd'hui par fanatisme une folie religieuse, sombre et cruelle. C'est une maladie qui se gagne comme la petite vérole », écrit-il dans le Dictionnaire philosophique, à l’article « Fanatisme »… Fanatisme qu’il qualifie d’infâme à partir de 1759. A compter de cette date, il signera désormais ses lettres de la fameuse devise « écrasons l’infâme » (en abrégeant le terme en « inf. », comme par familiarité désabusée). Autre manifestation de son déisme résolu : c’est bien un « Traité sur la Tolérance » et non sur l’Athéisme qu’il publie en 1763.
Pamphlets, pièces de théâtre, poèmes, tout est bon pour condamner et dresser la liste des malheurs et des crimes du fanatisme et de l’intolérance, qui entravent le progrès de la civilisation. L’Islam, le Judaïsme ou le Christianisme, aucune foi n’est épargnée. En définitive, pourquoi la véritable figure de Voltaire est-elle si dissemblable du portrait commun que nous connaissons tous ? A la fin du XIXe siècle, la IIIe République anticléricale a érigé le philosophe en symbole de la lutte conte la Religion catholique. Pour ce faire, il a fallu travestir sa pensée profonde.
Le terme « voltairianisme » apparaît même dans le Littré de 1873 comme « esprit d'incrédulité railleuse à l'égard du christianisme ». Glissement de sens édifiant, qui nous amène à méditer sur l’ampleur insoupçonnée de l’obscurantisme en ce monde. En février 1778, 4 mois avant sa mort, Voltaire écrivait à son secrétaire Vagnière cette belle phrase qui pourrait lui servir d’épitaphe: « Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant la superstition ».
(Crédit image: wikimedia commons)
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