Jungle amazonienne, villes coloniales, plages paradisiaques et cordillères andines. Après avoir longtemps traîné une mauvaise réputation sécuritaire, la Colombie s’est passablement réformée. Son territoire exubérant et son peuple chaleureux ont de quoi conquérir les plus renfrognés visiteurs.
Bogotá, la capitale tumultueuse
Fondée en 1538 par Jiménez de Quesada (un conquistador en quête du mythique Eldorado - une contrée légendaire supposée regorger d’or), la capitale colombienne est aujourd’hui une cité vibrante et tentaculaire ; perchée sur un haut plateau andin, elle compte quelques 8 millions d’âmes et culmine à 2.600 mètres d’altitude. Figé devant la Candelaria, le coeur historique de la ville, j’observe placidement la plazá Bolívar ; à cette heure matinale, la place piétonnière fourmille. Les marchands ambulants s’affairent en tous sens ; le badaud est traqué, sans relâche. Certains vendeurs crient à tue-tête : paraguas, paraguas (“parapluies”, en espagnol) tandis qu’une pluie fine coule par intermittence. Sous le regard imposant d’une immense cathédrale, des hordes de pigeons encerclent des enfants aux mains pleines de graines.
Dans cette cohue mouvante, je fais la connaissance d’Eduardo, un père de famille quinquagénaire ; l’homme, jovial, me déclare : “Mes enfants adorent faire un tour à dos de lama”. Une poignée de camélidés prêtent leurs échines sur la place quelques minutes contre plusieurs milliers de pesos colombiens versés à leurs maître ; d’instinct, je suis pris d’effroi à l’idée de ces bêtes alignées en rang d’oignon place du Châtelet, à Paris. J’apprends que l’endroit est aussi un point de ralliement de tous les contestataires du pays ; le lendemain, la place sera couverte de chaises vides de couleur blanche, symbolisant les morts engendrés par les violences qui ensanglantèrent le pays ces dernières décennies.
Gastronomie généreuse
Afin de me hisser en haut du cerro de Monserrate, le mont culminant de Bogotá, je pars en quête d’un restaurant ; à l’affût de ma pitance comme un rat affamé, j’entre clandestinement dans une parillera, une sorte de grill. Le menu propose des viandes cuites à la broche ; en clair, ici, être végétarien ou à la diète n’est pas conseillé. Mon oeil est accroché par un ajiaco, une soupe parfumée aux herbes élaborée à partir de pommes de terre, de morceaux de poulet et de maïs. Mes papilles frémissent ; je passe commande. À la table d’en face, mon voisin engloutit d’une traite une bandeja paisa, un plat originaire de Medellín, la deuxième ville de Colombie en termes de population ; le mets est préparé à base de boeuf grillé, couenne de porc et chorizo… certainement suffisamment calorique pour être propulsé en pôle position dans le Livre Guinness des records.
Mon voisin, pourtant doté d’un gabarit imposant, frôle l’overdose ; de mon côté, je desserre ma ceinture d’un cran pour permettre à la plâtrée, également gargantuesque, de se caler au fond de mon frêle estomac ; par péché de gourmandise, je fonce ensuite à la Puerta Falsa (littéralement, la “Fausse Porte”), un restaurant célèbre, ouvert en… 1816. LE plus ancien du pays, affirment certains ; j’enfourne quelques tamales, des galettes de maïs fourrées et cuites en papillotes, la spécialité de l’établissement mais cale devant un dulce de leche (lait sucré). Rassasié pour une semaine, je me traine péniblement vers la sortie.
Coup de chaleur sur Carthagène des Indes
Après avoir écumé les lieux culturels de Bogotà, je me dirige vers Carthagène des Indes, une cité fortifiée construite au 16e siècle, plantée sur la côte caraïbe (dans le nord du pays) ; d’emblée, la chaleur m’étourdit. Le mercure frôle les 40 °C ; mon front est instantanément perlé de gouttes de sueur ; pas d’éventail, je suffoque. Dans un ultime effort, je saute dans un taxi ; mes espoirs sont anéantis. Le véhicule n’est pas équipé de climatisation. Sur le chemin, le chauffeur tapote gaiement avec ses doigts sur son volant ; fredonnant quelques paroles, il se tortille nonchalamment sur fond de cumbia (musique locale). Pense-t-il être en discothèque ? A-t-il déjà oublié qu’il y a un client sur la banquette arrière ? Non, ici c’est la norme.
L’homme est un Costeño, un habitant de la côte caraïbe, d’origine africaine ; les Afro-Colombiens représentent près de 10% de la population colombienne. Le reste des habitants est composé majoritairement de Blancs ou de métis issus d’un mélange entre Blancs et Indiens. Mon conducteur parle d’un seul jet, en écrasant les mots et avalant certaines consonnes, accent furieusement typique de la localité. Je redouble donc d’attention faute de ne comprendre goutte. Flairant le bon filon, il me conseille de visiter La Boquilla, un ancien village de pêcheurs niché au nord de la ville ; selon lui, “c’est un endroit magnifique et pittoresque”. Je ne donne pas suite. Étrangement, sa conduite est excessivement prudente comparativement avec celle de ses homologues rolos (surnom des habitants de Bogotà) ; ces derniers roulent comme des pilotes de rallye, lancés à pleine vitesse sur des routes constellées de “nids de poule”, totalement inconscients du danger.
La “Perle de la Caraïbe” affronte les pirates puis le tourisme de masse
Au loin, j’aperçois le château de San Felipe de Barajas ; l’édifice à des faux airs d’énorme bunker de la Seconde Guerre mondiale. Ses remparts s’étirent sur une dizaine de kilomètres ; l’ouvrage fut notamment construit afin de dissuader les pirates français et les corsaires anglais de s’emparer des richesses espagnoles. Qu’on en juge : entre 1503 et 1660, les Espagnols acheminèrent près de 300 tonnes d’or et 25.000 tonnes d’argent de l’Amérique du Sud vers la péninsule ibérique. Après un bref passage à l’hôtel et une valise bazardée, je mets le cap sur la place forte ; à l’entrée, les vendeurs de chapeaux m’assaillent. Je joue donc des coudes pour pénétrer dans l’enceinte fortifiée. Les multiples paquebots qui vomissent régulièrement des excursionnistes dans la cité excitent immanquablement la rapacité des vendeurs.
Antoine et André, deux touristes français croisés dans la zone, me livrent leurs impressions : “Ce qui nous plaît le plus, c’est la série de tunnels souterrains qui relient les différentes plateformes du fort entre elles (…) On s’enfonce dans l’épaisseur d’un mur et on réapparaît de l’autre côté de la fortification sans trop comprendre comment”. Dans la vieille ville, je suis abordé à tout moment par des vendeurs ambulants ; disons-le franchement : c’est agaçant à la longue. La beauté du centre historique colonial me redonne le sourire ; les rues, élégantes et aérées, sont flanquées d’immeubles plein de cachet, parfois décrépits mais le plus souvent ornés de balcons de bois fleuris qui lui confèrent un charme unique. Le visiteur est transporté plusieurs siècles en arrière ; une atmosphère romantique fond sur lui. Les meutes de marchands insistants se chargent de le sortir de sa torpeur.
Isla Barú
Avant de quitter la “Ciudad Heroica”, le surnom de Carthagène des Indes acquis lors de sa proclamation d’indépendance vis-à-vis de la Couronne espagnole en 1811, je fais une escapade à Playa Blanca (Plage Blanche), située à quelques heures en bus de la ville ; l’endroit est situé sur la presqu’île de Barú, prisée pour ses eaux cristallines et autres sports nautiques. Là-bas, je rencontre Miriam, une plagiste d’origine vénézuélienne ; la jeune femme, affable, est fichée d’un sourire irradiant. La vingtenaire fait partie des migrants qui ont fui la crise économique, politique et sociale qui frappe durement son pays depuis le milieu des années 2010. Les Vénézuéliens ont été plus de 4 millions à avoir quitté leur terre natale ; la majorité s’est établi dans la Colombie voisine.
Tandis que certains de ses concitoyens se vautrent dans la délinquance ou la criminalité, elle a choisi de pourvoir à ses besoins de manière honnête, en travaillant dans le Tourisme ; elle me détaille son itinéraire : “Je suis arrivée en Colombie il y a un an ; j’ai d’abord pris un bus de Caracas, la capitale du Vénézuela, jusqu’à Maracaibo, près de la frontière colombienne. Puis, je me suis rendue à Carthagène des Indes via Maicao ; au total, j’ai fait près de 24 heures de bus pour rejoindre ma destination finale (…) J’ai quitté le Vénézuela car l’emploi que j’occupais ne me permettait plus de subvenir aux besoins de mes deux enfants ; j’ai donc pris la décision de laisser mes fils à ma mère et de venir travailler ici”.
Parc national Tayrona, une expédition entre jungle et mer
Je continue mon périple dans le Parc national Tayrona, localisé à une centaine de kilomètres au Nord-Est de Carthagène ; j’y trouverai mon Eden. Je franchis les portes du parc ; face à moi, se dresse une forêt dense et plantureuse dont les arbres percent les cimes. De-ci de-là, des singes apparaissent furtivement, lancent quelques cris et se balancent de branche en branche avant de disparaitre dans l’enfer verdâtre. Afin de pénétrer cette jungle épaisse, j’emprunte un sentier sinueux qui serpente à travers des pistes vallonnées et me conduit directement à un mirador surplombant le littoral. De ce lieu, je contemple d’imposants rochers de couleur blanche
plantés dans le sol comme d’énormes enclumes enfouies le long d’une plage immaculée ; oui lecteur, tu as vu juste, le site a des faux airs de Seychelles. Soudain, la pluie fait irruption.
En un instant, le chemin devient impraticable ; à chaque pas, je m’enfonce un peu plus dans la boue. Il est grand temps de rentrer…vite, vite, vite ! Je scrute nerveusement les cours d’eau qui s’élèvent à vitesse grand V. D’autres touristes font le choix plus judicieux de regagner la sortie à dos de mule ; comble de malchance, leurs montures font leurs besoins sur la piste, précisément là où je passe avec mes petites jambes. Outre les branches, les racines saillantes et les marécages, il faut donc aussi faire face à ces nouveaux obstacles “naturels”. Plusieurs heures de marche plus tard et une colonie de fourmis légionnaires croisée, je m’extrais de ce labyrinthe bourbeux ; dans la soirée, confortablement installé dans le lobby de l’hôtel, j’apprends par un autre client que des caïmans et des jaguars évoluent de temps à autre sur le parcours que j’ai emprunté seulement quelques heures auparavant. J’en suis quitte pour une bonne chaire de poule et tombe d’un coup dans les bras de Morphée. Croiserai-je cette nuit dans mon sommeil une panthère ou un gros reptile ?
Jérémie Dardy
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