Milkipress : Djibril, peu d’acteurs incarnent les rôles sombres avec ton punch, ta gourmandise. On pense à ton interprétation glaçante du gangster séducteur dans "Bande de filles", ou au malfrat Cappuccino dans "Tout, tout de suite", de Richard Berry. Comment gères-tu si tranquillement le poids de ces figures ?
Djibril Guèye : Sans tomber dans le pathos, je te dirai que j’ai grandi dans la vraie pauvreté, avec une mère aide-ménagère à Aulnay. Pendant toutes ces années mon cerveau a encaissé une masse de chocs à bout portant. Ça te bute ou ça te forge, ça dépend du mental. L’idée, c’était de faire quelque chose de puissant à partir de tout ce que j’ai pris dans la gueule. Le statut de victime pour sociologues attristés, c’est pas mon truc. Y a toujours pire ailleurs, comme on dit.
Inconsciemment, j’ai entamé le combat de la fierté depuis gamin : appelle ça la résilience ou ce que tu veux, j’ai toujours pris mes rêves en kamikaze, quitte à m’écraser avec eux. Alors "le poids de ces figures", comme tu dis… j’accepte volontiers de le porter. Être au service du spectateur, c’est un honneur… qu’il te le rende ou non.
Djibril Guèye Lino Ventura Jean-Paul Belmondo
Milkipress : Dans l’histoire du film français, il existe une grande tradition de la gueule dure au cœur tendre, à laquelle on t’associera peut-être un jour : je pense à Jean Gabin, Lino Ventura, Vincent Lindon aujourd’hui…
Djibril Guèye : Ces types sont des monuments. Ils ont chacun montré le clair-obscur de la nature humaine à leur manière, au-delà du dialogue et de la mise en scène : avec eux, le couple gentil/méchant se fracasse net… on avance enfin dans l’exploration de l’être, ça change du psychologisme à la c... qui fait des arabesques dans le vide. A la question universelle "C’est quoi un type bien ?", ils offrent une réponse charnelle, beaucoup plus profonde que la question elle-même. On avance ! Maintenant, si tu me compares à Gabin, Ventura et Lindon, tu m’adresses un sacré défi…
Milkipress : Pas de fausse modestie. Tu vas le relever ?
Djibril Guèye : Oui. J’irai au bout. Ce rêve, je t’en fais même une promesse.
Milkipress : La détermination sacrée du jeune acteur, c’est un grand classique qui fait souvent pschitt. Avec toi, pourquoi serait-ce différent ?
Djibril Guèye : Parce que quand ça fait pschitt, c’est que tu ne t’es pas battu. Ça veut dire que tu rêves dans les fraises, vautré dans le satin. Le type qui donne tout, soit il aboutit, soit il échoue superbement. Son échec ne fera jamais pschitt, ce sera même une victoire : celle de l’homme qui a fait trembler le destin. J’ai débuté le kickboxing à 10 ans, je suis devenu champion de France de la discipline à 16 ans, j’ai commencé les castings à la même époque par hasard… j’ai connu des échecs qui m’ont fait enrager… je suis revenu à 26 ans, plus affamé que jamais. J’ai toujours su dire merde au destin, quitte à être soupçonné de vantardise compulsive. Être ou ne pas être, faut l’entendre cash : c’est tout ou rien, pas de demi-mesure.
Jacques Brel Gérard Depardieu
Milkipress : A ce propos, quelle est ta singularité, celle qui te définit en tant qu’acteur ?
Djibril Guèye : C’est le public qui répond le mieux à ce genre de question ! Mais n’esquivons pas… mon identité, ma signature, c’est l’adéquation entre ma diction grave et ma densité physique. On me le répète souvent : quand j’amorce un geste, quand j’ouvre la bouche, mon énergie rebondit sur mes partenaires de scène. C’est très pratique, idéal pour les passages dramatiques un peu statiques, ceux qui frisent la platitude dès que le dialogue est rare et la musique absente.
Bande démo Djibril Guèye
Milkipress : Oui, je suis d’accord. Avec toi, une scène de tension contenue c’est déjà de l’action pure. Pas besoin d’explosions ou d’effets spéciaux… Robert Bresson adorerait, lui qui professe l’évocation par l’économie des moyens, la suggestion chirurgicale plutôt que le blabla figuratif gavant le spectateur de plans narratifs.
Djibril Guèye : Merci ! J’aime travailler mon jeu à fond, en matador, pour dompter mon énergie brute… Au-delà de la spontanéité, qui peut être un piège, il faut viser le juste, épurer son naturel. Gamin, il fallait partout que je fasse le drôle… on m’a toujours dit : « Quel comédien ! »… J’ai pris la prophétie au mot, mais le cinéma m’a fait comprendre que le naturel ne suffisait pas… loin de là !
Milkipress : Explique-toi donc !
Djibril Guèye : L’acteur est trop souvent berné par la rhétorique du "naturel". Une vraie dictature, qui gâte la qualité des prestations… Dans notre métier, le moment de vérité, c’est l’extraction de l’affectif hors de l’émotif. Si tu fais juste passer tes émotions, il manque quelque chose : le cinéma exige davantage. Quand tu es juste naturel dans ton jeu, la réalité que saisit la caméra n’est pas sublimée, simplement documentée. Je dirais même que le "naturel" est le pire ennemi de l’acteur, la tentation suprême… satanique ! Ce malentendu, un théoricien du cinéma l’a bien expliqué :
« S’en remettre au seul naturel, c’est en rester à une mobilisation paresseuse du charme. Et c’est dévoyer la tradition réaliste, de Renoir à la Nouvelle Vague et Pialat, qui est moins celle du naturel que celle des "natures" » (Cf : Stéphane Delorme, Cahiers du cinéma, n°732)
Milkipress : Être une "nature", plutôt que "naturel". C’est ton objectif lorsque tu joues ?
Djibril Guèye : Exactement. C’est ça qui fait le vrai cinéma.
Arletty
Milkipress : Justement, comment définirais-tu le cinéma ?
Djibril Guèye : Grave question ! Ce serait trop facile de te répondre que le cinéma c’est tout simplement la liberté, qu’il en existe autant de définitions que de façons de le pratiquer. Non. Avec ce genre de discours, autant jeter savoir-faire, héritage et tradition… Parce que dis-toi bien que ça compte, tout ça !
Le cinéma, c’est un art qui fracasse l’écorce du réel et t’en extraie la pulpe. Ça doit gicler, te brûler les yeux, mais t’as un peu avancé sur les questions ; la couche externe des faits est enfin transpercée… on déconstruit le mensonge existentiel du quotidien. Lorsque le cinéma dépasse la littérature dans sa retranscription du réel, c’est là qu’il devient "bon". Il ne doit pas montrer, il doit discerner tout en laissant au spectateur une marge d’interprétation généreuse. Le vrai cinéma propose plusieurs couches de sens. Il ménage des galeries pour tout le monde. En gros, c’est un sacré boulot…
Milkipress : Précise, ça commence à m’intéresser.
Djibril Guèye : T’es dur en affaires ! Le rôle du cinéma, c’est de nous offrir des plans inédits sur le réel, explorer les angles morts de la conscience collective. C’est même remettre en cause la réalité telle qu’on la fantasme tous. Ça arrache, ça écorche forcément. Jean-Luc Godard l’a bien expliqué :
« Le cinéma, ce n'est pas une reproduction de la réalité, c'est un oubli de la réalité. Mais si on enregistre cet oubli, on peut alors se souvenir et peut-être parvenir au réel » (Cf. Jean-Luc Godard, Le Monde, 10 juin 2014)
Jean Gabin, jeune
Milkipress : Merci, je retiendrai… En France, on arrive mieux à faire ça qu’ailleurs ?
Djibril Guèye : De moins en moins. Notre cinéma n’est plus révolutionnaire, parce qu’il s’est embourgeoisé.
Milkipress : Pourtant, on dit bien que c’est la classe bourgeoise qui a initié la Révolution française, prolongée ensuite par le peuple…
Djibril Guèye : A l’époque, les bourgeois avaient encore les côtes saillantes. Ils avaient faim de justice !
Milkipress : Donc aujourd’hui, le pays se serait assoupi ? Remarque… déjà en 1970, Louis Malle disait ne pas être certain d’aimer la France, parce que c’est un pays qui vit au XIXe siècle !
Djibril Guèye : Normalement, c’est le cinéma qui devrait faire avancer les choses sociologiquement, nous amener le futur par le potentiel de l’imaginaire… cette arme de réflexion massive. Dans les faits, on constate que la société évolue plus vite que le cinéma français. C’est un motif d’inquiétude, car ça n’a pas toujours été le cas. Le strass, le glamour et les paillettes, c’est de la morphine quand on ne bouffe que ça.
Milkipress : En clair, le cinéma français vit tranquillement sur son prestige d’hier ?
Djibril Guèye : Le cinéma français ne se repose pas sur ses lauriers, il les fume ! Il ne gère même pas sa rente, il la consume en la singeant dès que les idées manquent. On ne pose plus les sujets, on les mouline… on aplatit leur profondeur. On fait de la politique en chaise longue…
Milkipress : Je suis presque d’accord. On reproche souvent à la conscience de gauche d’avoir abandonné le combat social au profit du combat sociétal, ce qui à mon avis n’est pas vrai : l’injustice économique reste très scrutée dans nos œuvres nationales ("La loi du marché" de Stéphane Brizé en 2015, "L’Outsider" de Christophe Barratier en 2016, "Mammuth" avec Gérard Depardieu en 2010…). Ce qui est vrai, par contre, c’est que la conscience de gauche a été prostituée par une certaine frange du cinéma français : on en a fait un étendard de bonne conscience narcissique, une main flaccide tendue à la rue. C’est obscène.
Djibril Guèye : Je ne cracherai jamais sur le cinéma français, que j’aime comme un enfant, mais c’est aussi pour ça que ses trahisons me blessent. Combien de fois me suis-je senti le "négro sympa" sur un plateau… Le bobo qui te félicite sans raison, te tape dans le dos et te méprise inconsciemment derrière, c’est pénible. Mon père est Sénégalais, ma mère est Italienne : eh bien moi, je ne me considère ni noir, ni blanc, ni métisse ; mon identité c’est ce que je fais, pas la génétique ou la race. Il faut peut-être savoir d’où l’on vient, mais surtout où on va.
C’est ça la question de la vie. Mais dans le milieu du cinéma, les gens sont fascinés par tes "origines" – qu’ils soient noirs ou blancs d’ailleurs. En fait, il y a plus de respect quand on ne t’aime pas, ouvertement : au moins on te considère, et on est dans un rapport de vérité… le genre de respect entre Al Pacino et De Niro dans "Heat", LE film policier par excellence.
Milkipress : Tu irais jusque-là ?
Djibril Guèye : Et même plus loin. La haine est une variété apocalyptique de l’amour… et apocalypse, ça veut dire révélation. Il faut être franc. C’est ça le "respect", pas les caresses…
Milkipress : Exact. D’ailleurs tu commences à me saouler.
(Rires)
Djibril Guèye : Voilà, t’as compris l’idée. La franchise, c’est ça qui nous fait arrêter de tourner autour du pot. Les rapports droits, fiers. C’est de ça qu’on manque en France. Les types d’ici sont devenus trop mous, contrairement aux Anglais, aux Italiens. Dans notre cinéma, les idées hypocrites pseudo-humanistes ruinent le métier ; quand elles se retrouvent à l’écran, elles se développent comme des virus dans la société… c’est du poison. Faut aller plus loin. Faire de l’humanisme pur et dru… ou bien aller se faire foutre.
Milkipress : Kassovitz sera d’accord.
(Rires)
Milkipress : On dit souvent que le cinéma français est "chiant", trop maniéré, intellectualisant. Partages-tu cette impression ?
Djibril Guèye : Attention! Les dérives qu’on a évoquées plus haut ne font pas l’essence du cinéma français. Il s’illustre d’ailleurs énormément par la comédie, sa légèreté inimitable… Je pense aux Visiteurs, à L’aile ou la cuisse, aux Tontons flingueurs… Regarde les mimiques de De Funès, le jeu de Luchini, les répliques d’Arletty dans les vieux films… « Atmosphère, atmosphère… est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? »… Voilà, tu l’as ici, tout le génie du cinéma français… Avec le bagout de Belmondo et les envolées de Depardieu ! Après ça, les films intellos narcissiques, ça pèse pas lourd.
Milkipress : Mais ce cinéma existe pourtant depuis des lustres... c’est bien réel, la voix sucrée d’Henry Chapier !
Djibril Guèye : C’est vrai… ça a même un certain charme, non ? D’ailleurs, le cinéma intello est un aspect de notre génie national : notre passion pour la discussion, la polémique, le débat infini… c’est ça la France. Notre cinéma doit refléter ça, mais sans tomber dans le maniérisme, on est d’accord… Regarde "Nelly et monsieur Arnaud" (Claude Sautet), c’est pas charmant ? Intelligent, fin, et même divertissant. La classe à la française, quoi !
Milkipress : Ok, ok… tu marques un point.
Djibril Guèye : Ce sont nos grands réalisateurs qui les marquent, les points…
Milkipress : A ce propos, avec lesquels aimerais-tu jouer prochainement ?
Djibril Guèye : Ah… difficile de citer des noms en pâture comme ça. Mais bon… Quand y a un doute, c’est qu’y a pas de doute ! Je te dirai donc, entre autres : Cédric Klapich pour l’univers si particulier qu’il a su créer, François Ozon, Abdellatif Kechiche, Houda Benyamina, Michel Gondry… son film Eternal Sunshine m’a beaucoup marqué. Richard Berry est un réalisateur très carré. Il aime la perfection et sait vraiment ce qu’il veut. Son exigence te tire vers le haut. J’espère vite retourner avec lui. Je veux servir le cinéma de mon pays, et pour ça j’ai besoin que des réalisateurs me fassent confiance. Je rêve d’intégrer leurs exigences à mon jeu, de découvrir leurs manies, de leur prouver…
Milkipress : Leur prouver quoi ?
Djibril Guèye : Que j’aime. Que j’aime passionnément. Comprenne qui pourra.
Milkipress : Là, tu me rappelles le cri du cœur d’Annie Girardot… Son talent fou n’a pas toujours été respecté ! D’ailleurs, qu’est-ce que le talent ? Peut-on définir son essence dans le cinéma ?
Djibril Guèye: Je vais te répondre net. Le talent, c’est apporter quelque chose au monde que personne n’a encore développé. C’est le don inespéré qui va sublimer toutes les déficiences de la scène (défaut technique sur le plateau, pesanteur d’une réplique, partenaire hésitant). C’est une énergie qui vitalise tout autour de soi… elle fait feu de tout bois : regard, voix, posture, démarche… faut tout coordonner. Le talent arrive quand tu parviens à te jouer TOI, au-delà du personnage que tu incarnes. On entre dans la philo…
Mais attention ! Le talent, ce n’est pas la facilité, avec laquelle on le confond toujours. Chaque jour, l’acteur doit s’entraîner à distinguer l’un de l’autre : on avance comme ça dans son jeu ! Au fond, le talent ce n’est pas ce qui te sert, c’est ce qui t’oblige…
Milkipress : Être bon acteur, c’est donc être un peu mystique !
Djibril Guèye : Peut-être. En tout cas, il faut considérer le cinéma comme une métaphysique pour commencer à y comprendre quelque chose… il faut le pénétrer par le dedans, y puiser ce que les monstres classiques y ont déposé au fil des décennies.
Être acteur, c’est surtout endosser des choses difficiles qui te laisseront des cicatrices. Il faut le faire pour la mémoire collective, offrir ses épaules. J’ai eu l’honneur de l’expérimenter dans " Tout, tout de suite" [production relatant le crime antisémite contre Ilan Halimi ; Djibril y incarne l’un des geôliers].
Ce type de rôle te bouscule, tu prêtes ton corps à la représentation d’un traumatisme collectif. Là, on est à des milliers de kilomètres du glamour, on bosse vraiment. Je préfère tellement ça aux simples rôles de "petite frappe", qu’on m’a longtemps proposés.
Milkipress : Je comprends… C’est rageant de sentir qu’on sous-emploie ta générosité, ton potentiel dramatique. Quel type de rôle rêverais-tu d’interpréter ?
Djibril Guèye : Mon rêve, ce serait d’aimer une femme en livrant face caméra le fond d’une âme éprise. Offrir une expérience émotionnelle totale, inédite, au-delà de ce qui a été fait et refait. Explorer chaque région du sentiment, presser la notion d’amour jusqu’à la dernière goutte acide… je connais, j’ai aimé des femmes à la folie, jusqu’au désespoir…
T’as beau être un dur, avoir le cuir épais, face à LA femme, tout s’évapore ! Je veux rendre compte de cette vulnérabilité terrible. Je suis prêt à assumer tout ça… Jacques Brel a dit qu’un homme qui n’a pas peur, ce n’est pas un homme.
Milkipress : D’accord, mais décrire l’amour au cinéma, c’est casse-gueule… trop de redites, de lieux communs sur le chemin. Pourquoi toi, monsieur Djibril, tu serais capable de proposer davantage ?
Djibril Guèye : L’amour, c’est une roche qui se creuse avec les dents… alors bien sûr, on préfère lécher la bobine. On filme du sentiment mignon, on joue les petites crises, les pulsions… ça se fait tout le temps. Dépasser ça, c’est un défi que je rêve d’accomplir. Je veux convertir l’amertume de mon vécu en puissance lumineuse. J’ai besoin de réalisateurs qui ont du cran pour ça. J’ai une vie contusionnée à offrir jusqu’à la dernière goutte. Je veux rendre au centuple ce qu’on aura misé sur moi.
Milkipress : Ton expérience des planches et du théâtre pourrait ici servir… Je crois que tu as joué dans "Haute surveillance", de Jean Genet ?
Djibril Guèye : Oui, j’ai appris sur le tas, et je fais chaque année des stages de théâtre pour perfectionner mon jeu. Le comédien nourrit l’acteur, et inversement. La scène est une épreuve magique qui nous relie aux sources classiques du métier. On en tire une certaine idée du savoir-faire, exigeante, artisanale. On travaille énormément notre gestion de l’espace, la voix…
Milkipress : Ah, justement, la voix ! Ce qui surprend lorsque tu passes à l’écran, c’est la modulation de ton timbre. Tu peux marier des éléments verbaux carrément opposés entre eux dans la même phrase, sans que ça arrache l’oreille. Par exemple, on se souvient de ton mythique "cocotte", dans la scène du kebab de "Bande de filles" : tu y proposes à Karidja Touré de dealer pour toi, et ce mot impromptu vient tout colorer d’un coup.
Djibril Guèye : Ah ! Le fameux "cocotte"… ça t’a marqué toi aussi ? La petite histoire, c’est que ça m’est venu en pleine action, alors que je servais à Karidja le discours de la perdition… Je l’entrainais dans le vice en douceur, il fallait sortir des mots qui caressent et qui rassurent, poser une voix d’outre-tombe, un truc moelleux…
Soudain, j’ai senti qu’il fallait contrebalancer l’horreur du discours par un truc rien-à-voir : "cocotte" est venu d’un coup, et l’alchimie s’est faite. Tu vois, c’est dans ces moments-là que le travail de l’acteur prolonge celui du scénariste… T’as le feu sacré sans prévenir, le tout est d’avoir le réflexe de transgresser quand ça te vient. A ce moment, l’acteur devient un peu auteur !
Milkipress : On imagine que tu as beaucoup travaillé la diction et l’improvisation pour arriver à ça ?
Djibril Guèye : Oui. Lorsque je suis revenu dans le métier, il y a 8 ans, j’ai compris qu’il fallait bâfrer une énorme technique… c’est dur, épuisant, mais capital pour devenir un "vrai" acteur. J’aime ça. Plus t’as mal, la gorge sèche, la bouche en feu, plus t’avances dans ce métier. Alors oui, j’ai changé… Quand t’es jeune, tu penses que tu peux tout faire avec ton petit génie personnel, mais c’est faux. Je me suis cassé la gueule sur des castings à 16 ans… avec le recul, ça a été une bonne chose. Pour arriver aux couilles d’un Jean Marais, faut cravacher comme un maniaque. Miser technique à fond : la diction comme tu dis… c’est capital pour sublimer ton texte quand il n’est pas top. La science de l’intonation, c’est quelque chose de dingue, ça peut sauver les pires répliques !
Entretien recueilli par Pierre-André Bizien
Contacter Djibril Guèye :
Site personnel: www.djibrilgueye.com
Facebook: Djibril Guèye
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