La bataille de Qadesh (1274 av. J-C), Pharaon contre les Hittites

Au IIe millénaire av. J.-C., en Syrie, la bataille de Qadesh oppose les Hittites à l’Égypte pharaonique. L’affrontement fut-il la plus grande bataille de chars de guerre de l’Histoire ? Les Hittites livrèrent-ils la première opération d’intoxication de l’histoire ? Ramsès II triompha-t-il, conformément aux récits égyptiens, de son adversaire le roi hittite Muwatalli II ?


Vers 3300 av. J.-C., l’Égypte pharaonique parvient à l’unité politique ; elle se maintient jusqu’au premier siècle avant notre ère, lorsque les Romains l’assujettissent. De son côté, l’Empire hittite naît en Anatolie (actuelle Turquie) vers 1650 av. J.-C. ; il s’effondre vers 1200 av. J.-C. En raison de querelles d’ordre territorial, les deux puissances dominantes au Moyen-Orient s’affrontent dans la célèbre bataille de Qadesh ; à l’issue des combats, les deux États se partagent le Levant (actuels Liban, Israël et pourtour environnant).

 

Un chef d’oeuvre d’intoxication hittite ?

 

Téméraire, le souverain hittite en appela à ses vassaux syriens et anatoliens pour former une coalition capable d’en remontrer à l’Egypte pharaonique. Ayant “intoxiqué” Ramsès II par de fausses informations sur la position de ses troupes, Mouwatalli le surprit près de la ville syrienne de Qadesh, sur l’Oronte, alors que le gros de l’armée égyptienne se trouvait encore loin de là. Les richesses de la Syrie et la sécurité de l’Égypte sont au cœur de l’enjeu. L’armée égyptienne est morcelée en quatre divisions, comptant chacune 5.000 hommes ; chaque division porte le nom des quatre grands dieux du royaume (Amon, le dieu de Thèbes, Ra, le dieu solaire, Seth, le maître du Climat, et Ptah, le dieu créateur). Dans cette confrontation colossale qui s’annonce, un élément psychologique doit être mentionné : les hittites avaient une réputation de cruauté et de brutalité que l’armée égyptienne connaissait.

 

La plus grande bataille de chars de l’Antiquité

 

Selon les sources, les Hittites lèvent une armée de près de 40.000 fantassins et de 2.500 à 3.500 chars. Bien que l’armée de Ramsès II soit moins pourvu en chars que sa rivale anatolienne, les siens sont cependant plus légers et maniables; tirés par deux chevaux, les engins transportent chacun un conducteur et un guerrier. Ce dernier peut user d’une lance ou d’un arc (une flèche égyptienne peut traverser un homme revêtant une armure de cuivre !). Dans chaque camp, les fantassins sont munis de longues lances et de dagues courtes ; certains sont équipés d’épées ou de haches en bronze.

 

Remarquons que Qadesh est la plus grande bataille de chars de guerre de l’Antiquité. Selon Aline Tenu, chargée de recherche au CNRS, l’utilisation de chars pour la guerre est attestée dès la période des dynasties sumériennes archaïques (2900-2350 av. J.-C.), en Mésopotamie. Au XVe siècle, Léonard de Vinci conçoit un prototype semblable à nos chars de combat actuels.

 

La première bataille documentée par des sources contemporaines

 

Selon Isabelle Klock-Fontanille, directrice de l'École des Langues et Civilisations de l'Orient Ancien (ELCOA), “pas moins de cinq temples égyptiens portent, à la demande de Ramsès II, des textes et des images représentant la bataille de Qadesh (1274 av. J.-C.), ce qui en fait la première bataille documentée par des sources contemporaines”. Notons que la majorité des sources égyptiennes sert à glorifier le pharaon ou à minimiser, voire à passer sous silence ses échecs. Guillemette Andreu-Lanoë, directrice honoraire du département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre, souligne que la bataille de Qadesh est aussi rapportée par des archives hittites, ce qui permet d’apprécier l’écart effarant entre les deux versions.

 

Qui sort vainqueur ?

 

“La bataille de Qadesh est une semi-défaite pour le pharaon, qui la transforme en épopée glorieuse sur les murs des temples, tandis que les archives hittites célèbrent la victoire de leur pays” (L’Atlas des Empires). Malgré la perte de contrôle du pays d’Amourrou (situé dans l’actuel Liban) ainsi qu’une grande partie de la Syrie, Ramsès II consacre une victoire écrasante au profit de l’Égypte. Souvenons-nous que dans un passé moins lointain, Chateaubriand céda au lyrisme en déclarant à propos de la défaite de Bonaparte à Waterloo (1815) : « Bataille terrible où la victoire, au milieu des armées confondues, se trompa d’étendard ». Quant à l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, celui-ci évoqua à propos du dernier acte de l’épopée napoléonienne une défaite qui "brille d'une aura victorieuse".

 

L’union de Ramsès II et de la fille du roi hittite Hattousili III préfigure-t-elle les alliances matrimoniales dictées par la diplomatie?

 

Contrairement à la belle légende racontée par les Égyptiens, le mariage de la fille du roi hittite Hattousili III avec Ramsès II ne fut pas une preuve de soumission des Hittites à l'Égypte ; les territoires concédés aux Hittites par les Égyptiens immédiatement après la bataille de Qadesh réfutent cette hypothèse. L’union royale préfigure cependant les alliances matrimoniales dictées par la diplomatie.

 

Traité de paix et alliance

 

Ainsi, en 1258 av. J.-C., un traité de paix est signé entre l’Égypte et l’Empire hittite - les deux États s’engagent notamment à se porter mutuellement assistance en cas d’attaque par un tiers ; la version de référence est inscrite en akkadien (idiome sémitique et langue diplomatique en usage entre les États du Proche-Orient) sur une tablette d'argent. En 1906, une campagne de fouilles menée par les Allemands à Bogazkale permet de retrouver ladite tablette en caractères cunéiformes. En 1915, le savant tchèque Bedrich Hrozny démontre quant à lui que dans l’Anatolie du IIe millénaire avant notre ère, on parlait une langue apparentée au latin, au grec et au sanskrit !

 

Jérémie Dardy

 

Pour aller plus loin 

 

Damien Agut, Juan Carlos Moreno-Garcia, L'Égypte des pharaons - de Narmer, 3150 av. J.-C. à Dioclétien, 284 ap. J.-C, Belin, 2016

Vincent Blanchard, Royaumes oubliés : De l'Empire Hittite aux Araméens, Coédition Liénart, 2019

Trevor Bryce, Life and Society in the Hittite World, OUP Oxford, 2004

Georges Duby, Atlas historique Duby, Larousse, 2007

Christian Jacq, Ramsès, tome 3 : La bataille de Kadesh, Robert Laffont,1996

Isabelle Klock-Fontanille, Jacques Freu, Des origines à la fin de l'ancien royaume hittite: Les Hittites et leur histoire

Garry J. Shaw, War & Trade with the Pharaohs: An Archaeological Study of Ancient Egypt's Foreign Relations, Pen & Sword Archaeology, 2017

Magazine Histoire et civilisations - Le Monde, numéro 7, juin 2015

Magazine Histoire et civilisations - Le Monde, numéro 31, septembre 2017

Magazine L’Atlas des Empires - Le Monde, 2019

Magazine l’Histoire, numéro 459, mai 2019

 

 


 

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