Implanté dans plus de 30 pays, le groupe Carrefour comptabilise 11935 magasins sous enseignes et emploie 360 000 personnes à travers le monde. En 2016, la société française a réalisé un chiffre d’affaires de 85,7 milliards d’euros soit 8,75 milliards de plus que l’année précédente. À lui seul, le marché français représente 46,8 % du total du CA de Carrefour, le reste étant réalisé à l’étranger. À l’échelle internationale, l’Europe constitue 26,2 % des parts de marché du groupe contre 19 % pour l’Amérique latine et 8 % pour l’Asie.
Cependant, si Carrefour a enregistré une croissance globale de ses ventes de 3 % à magasins comparables et hors essence, les performances de l’entreprise sont inégales selon les zones géographiques. Ainsi, en France, les ventes n’ont connu qu’une progression de 0,3 % contre 4,9 % à l’étranger. De même, l’Amérique latine domine le classement des marchés étrangers avec une croissance de 13,5 %. En comparaison, les ventes de Carrefour en Europe n’ont connu qu’une augmentation de 2 % alors que celles en Asie ont reculé de 5 %.
D’un point de vue structurel, l’internationalisation de la société demeure limitée en dehors du continent européen. Effectivement, en excluant les 5670 magasins situés en France, Carrefour possède 4541 établissements sur le Vieux Continent. Le groupe de distribution n’a donc implanté que 1724 magasins hors de l’Europe dont 952 en Amérique latine, 441 en Asie et 331 en Afrique et au Moyen-Orient. En revanche, Carrefour réalise 27 % de son CA en dehors du continent européen et cela avec un nombre restreint d’établissements.
Considéré comme le premier groupe de distribution en Europe, Carrefour fait toutefois face à un déclassement à l’échelle internationale. Alors qu’il occupait jusqu’en 2012 le second rang mondial derrière l’américain Wal-Mart, Carrefour ne se situerait aujourd’hui qu’à la sixième place selon le cabinet Deloitte.
Depuis la nomination de Georges Plassat au poste de PDG en 2012, l’entreprise limite son expansion géographique au profit d’une consolidation de ses positions dans les pays qui sont les plus rentables. Sous l’impulsion de son dirigeant, le groupe Carrefour a ainsi cédé ses activités en Grèce, en Suisse, en Russie, en Slovaquie, en Thaïlande, en Indonésie, en Malaisie, à Singapour, en Colombie et au Chili. Parallèlement, devant la stagnation des résultats réalisés par ses hypermarchés, Carrefour s’oriente vers un modèle de distribution « multiformat ».
Concrètement, la société hexagonale privilégie l’acquisition et l’ouverture de supermarchés et de commerces de proximité. Sur l’ensemble des établissements qu’exploitent l’enseigne dans le monde, les hypermarchés, qui sont à l’origine le cœur de métier du groupe, ne constituent plus que 12,3 % de son parc contre 27 % pour les supermarchés et 59,3 % pour les magasins de proximité.
Cité le 9 mars 2017 par le quotidien les Échos, Georges Plassat estime que 83 % du chiffre d’affaires de Carrefour se fait dorénavant via la vente de denrées alimentaires. Pour autant, si le groupe privilégie l’ouverture de supermarchés et de supérettes, il souhaite néanmoins rendre plus attractifs ses hypermarchés via l’aménagement d’espaces consacrés à la restauration et aux divertissements. Pour des raisons historiques, la France reste le bastion du groupe Carrefour mais il y fait face à une rude concurrence.
En réalité, le marché français rapporte 110 milliards d’euros par an aux acteurs de la grande distribution mais 40 % des ventes sont réalisés dans des établissements détenus par Carrefour et Leclerc. Face à ces deux géants, Intermarché, Système U, Casino, Auchan Lidl et Aldi se partagent le reste du marché mais sont aussi confrontés à une stagnation des ventes de produits alimentaires.
Dans ce contexte, pour stimuler la consommation des Français, les enseignes de la grande distribution se livrent à une guerre des prix. Pour la mener à bien, les acteurs du secteur ont conclu des partenariats pour créer des centrales d’achat communes. Aussi, en 2014 Système U et Auchan, Intermarché et Casino ainsi que Carrefour et Cora ont conclu respectivement des alliances dans l’espoir de réduire leurs frais auprès de leurs fournisseurs. Toutefois, ces enseignes ne réalisent pratiquement aucune marge sur les grandes marques.
Aussi pour proposer les prix les plus bas à leurs clients, les grands distributeurs exercent d’importantes pressions sur les PME et les agriculteurs. S’exprimant à ce propos auprès de France Info en novembre 2016, Mélanie X, négociatrice pour une PME décrit les méthodes musclées utilisées par les géants de la distribution :
« Chacun joue un rôle, dans les discours, les postures, les débordements de comportements… Par exemple, on nous fait patienter pendant des heures. On est reçu par plusieurs personnes, avec toute la hiérarchie alors qu’on devait être reçu par un seul acheteur… Il y a donc une pression supplémentaire. On peut être en train de signer un contrat et quelqu’un débarque pour déchirer le contrat en disant "J’annule le contrat, je ne suis pas d’accord avec l’accort obtenu, vous pouvez faire plus"… On se dit toujours que le commerce c’est bâtir une relation durable, constructive, pour développer ensemble le business. Mais en cette période, ce n’est pas le cas. »
En dépit de son engagement affiché en tant qu’entreprise « responsable », les pratiques de Carrefour vis-à-vis des ses fournisseurs sont fréquemment dénoncées. Le 4 octobre 2016, la Cour de cassation a confirmé la condamnation de diverses sociétés du groupe Carrefour pour avoir soumis ses fournisseurs à des clauses abusives.
L’une d’elle permettait à Carrefour « de refuser une livraison en cas de non-respect des horaires de livraison par le fournisseur, et de sanctionner financièrement ce dernier, alors que, réciproquement, Carrefour ne s’engageait qu’à tout mettre en œuvre pour respecter les rendez-vous de livraison ». D’autre part, le distributeur se permettait « de refuser une marchandise dont la date limite de consommation ou la date limite d’utilisation optimale était identique à celle figurant sur les produits déjà livrés.
La disproportion résulte ici du fait que Carrefour pouvait refuser des marchandises conformes au contrat et ce alors même que l’hypothèse visée par la clause n’entraînait aucune désorganisation de ses stocks ». Enfin, « la convention prévoyait un délai de paiement de soixante jours pour les factures de vente émises par le fournisseur alors que ce dernier devait régler dans un délai de trente jours les factures de service émises par Carrefour. »
Par ailleurs, le 9 novembre 2016, le groupe Carrefour a été assigné par le ministère de l’Économie et des Finances « pour des pratiques commerciales abusives, contraires aux dispositions du code de commerce ». Selon Bercy, le groupe aurait exigé de ses fournisseurs, sans contrepartie, « une remise complémentaire de distribution de 1 % » pour compenser les frais d’exploitation et de logistique de ses magasins de proximité.
Si Carrefour n’est pas la seule enseigne à adopter ce genre de pratiques, le bénéfice invoqué pour le consommateur est infime. D’après Frédéric Valette du cabinet Kantar Wolrdpanel, les économies réalisées pour chaque consommateur ne s’élèveraient qu’à quelques centimes par produit de grande consommation, soit 25 euros par an. Cette guerre des prix n’a donc que peu d’effets pour les consommateurs et pourrait même se révéler contre-productives à long terme.
Georges Plassat ne s’y est pas trompé en dénonçant peu de temps après son entrée en fonction un cercle vicieux qui fragilise les fournisseurs et qui a des conséquences négatives sur l’emploi et sur le pouvoir d’achat. Pourtant, au cours de ses deux mandats, le PDG de Carrefour n’a pas pu faire autrement que de suivre le mouvement engagé par ses concurrents, et notamment par Leclerc. Dès 2018, il appartiendra donc à son successeur de consolider l’orientation de Carrefour vers les commerces de proximité et de faire du respect des fournisseurs une réalité qui dépasse le simple argument marketing.
Alexandre Depont
Pour aller plus loin
Site institutionnel du groupe Carrefour :
www.carrefour.com
Articles :
BERTRAND Philippe, « Amazon vend plus de non-alimentaire en France que Carrefour et Leclerc », Les Échos, 3 mars 2016.
www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/0211848566405-amazon-vend-plus-de-non-alimentaire-en-france-que-carrefour-et-leclerc-2069577.php
BERTRAND Philippe, « Le Pdg de Carrefour acte un changement d’époque et de modèle », Les Échos, 9 mars 2016.
www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/0211863614931-le-pdg-de-carrefour-acte-un-changement-depoque-et-de-modele-2071050.php
BIANCHI Frédéric, « Carrefour chute dans le classement mondial des distributeurs », BFM Business, 19 janvier 2016.
http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/carrefour-degringole-au-classement-mondial-des-distributeurs-944565.html
BOULEAU Claire, « Leclerc, Carrefour, Auchan... Pourquoi l'hypermarché n'est pas mort », Challenges, 19 janvier 2017.
www.challenges.fr/challenges-soir/leclerc-carrefour-auchan-pourquoi-l-hypermarche-n-est-pas-mort_449025
LORIEUL Vincent, « Confirmation de la condamnation d’un acteur de la grande distribution pour un déséquilibre significatif dans les contrats conclus avec ses fournisseurs », LEXplicite, 19 avril 2017. www.lexplicite.fr/condamnation-acteur-grande-distribution-desequilibre-significatif/
PARIGI Jérôme, « En assignant Carrefour, Bercy met une forte pression sur les "Négos" », LSA, 10 novembre 2016.
www.lsa-conso.fr/en-assignant-carrefour-bercy-met-une-forte-pression-sur-les-negos-decryptage,248901
Émissions :
« Des prix bas, mais à quel prix ? Comment la grande distribution tire profit de la guerre des prix », France Info :
www.francetvinfo.fr/economie/commerce/des-prix-bas-mais-a-quel-prix-comment-la-grande-distribution-tire-profit-de-la-guerre-des-prix_1937057.html
« Expliquez-nous ... la grande distribution en France » France Info :
www.francetvinfo.fr/replay-radio/expliquez-nous/expliquez-nous-la-grande-distribution-en-france_1775913.html
à lire aussi
La bourgeoisie, un concept sociologique problématique - Définition, Bourdieu, Pinçon...
Qu'est-ce qu'un bourgeois, et par extension la bourgeoisie? La réponse est complexe. De nombreux sociologues s'y sont cassé les dents. Bourdieu, Pinçon...
'' I'm muslim, don't panik '' : qui préjuge de l'Autre ?
« I’m Muslim, don’t panik ». La semonce claque, impérieuse et péremptoire. Elle est reprise des paroles du morceau « Don't panik », écrit et interprété par le rappeur français Médine.
L'évolution réelle de la délinquance en France - chiffres, statistiques, crimes et délits
La question de la délinquance en France est difficile à traiter: ses chiffres et ses statistiques font l'objet de luttes idéologiques
Les ravages des mass media
L'information dans nos sociétés contemporaines: entre sur-médiatisation et publicité anarchique. Un commerce juteux, mais un piège dangereux.
Vous aimerez aussi
Jacques Maritain, un théologien catholique jusqu'auboutiste (1)
Retour sur la théologie de Jacques Maritain
Kendrick Lamar, philosophie de ses textes, message de son rap. Paroles
Analyse du message contenu dans les textes de Kendrick Lamar. Son rap est atypique
Roman - Les nouveaux prêtres (de Michel de Saint Pierre)
Paru en 1964, ce roman à thèse explore avec tristesse le désert spirituel des banlieues des années 60.