Phare de démocratie en Asie, terre de non-criminalité, épicentre d'équilibre entre tradition et modernité high-tech... Taïwan mérite vraiment d'être visitée.
Bien content, je quitte Paris par un matin pluvieux de novembre. A l’aéroport, je rejoins Eva Air, la compagnie nationale taïwanaise. Une fois dans l’avion, je constate que la cabine est truffée d’accessoires “Hello Kitty” (coussins, reposes-tête, etc.). Ce décorum ne semble troubler personne. Une question m’obsèdera tout le long du voyage : le pays est-il à l’image de cette compagnie, excentrique et loufoque? La célèbre mascotte nippone veillera sur moi durant les 12h40mn de vol restantes. À l’arrivée, je saute dans un taxi : direction Taipei, la capitale…
Un air de New-York
Sur le chemin, des centaines de buildings colonisent l’horizon. La radio vomit un mandarin dont je ne comprends goutte. L’air est lourd et humide, je suffoque. Soudain, mon œil est accroché par une forêt d’immeubles de verre et d’acier. Ceux-ci quadrillent la ville du nord au sud, et d’est en ouest. Les bâtiments, himalayens, transpercent les nuages. On se dirait à Manhattan sous les tropiques. Au pied de la cité dantesque, j’ai l’air d’un insecte. Je déambule, désemparé.
Comble de surprise, l’agglomération est étrangement “verte”. Parcs, jardins, sommets verdoyants, murs végétalisés… la métropole suinte l’écologie. Pourtant, les milliers de véhicules polluants trahissent une réalité moins rose. La pollution galopante s’immisce sournoisement dans la vie quotidienne. Pour survivre, les habitants arborent des masques sur le nez, protection dérisoire contre l’empoisonnement invisible. Ici, les deux-roues font la loi ; aux feux rouges, on les retrouve agglutinés en meute, s’acharnant frénétiquement contre leurs accélérateurs. Sur la route, les pilotes amateurs slaloment dangereusement entre les véhicules, c’est impressionnant : on est face à une sorte de chaos autorégulé... Transposé en France, ce serait un beau carnage. Quelques frayeurs plus tard, je décide de me restaurer.
Le rot de trop
J’entre dans la célèbre “Taipei 101” (prononcer “one-o-one”), l’immense tour dominant la ville. L’édifice en forme de pagode géante défie l’entendement. Ce monstre d’acier, lourd de 700 000 tonnes, culmine à 508m de hauteur - soit davantage que l’Empire State Building et Big Ben réunis. L’un de ses 101 étages (excusez du peu), abrite un “Din Tai Fung", une chaîne de restaurant à la mode. Le lieu grouille de monde. Tel un ninja, je m’installe clandestinement dans un coin de la salle ; je fais profil bas face à cette foule mi-hostile d’asiatiques. Sur conseil du serveur, impeccablement vêtu, je commande des “Xiao Long Bao", sortes de raviolis vapeur farcis (viande, poisson, etc.). La spécialité, furieusement typique de l’île, est un délice. Pourtant le plaisir est de courte durée. L’énorme rot innocemment lâché par ma frêle voisine me ruine l’appétit.
À l’avenir, il faudra pourtant s’y faire, et pour cause ; dans cette région du monde, les gens rotent naturellement. L’héritage culturel chinois ne se manifeste pas toujours comme l’on croit. Beaucoup d’entre eux crachent abondamment par terre (moins cependant que leurs cousins chinois). Certains se raclent même longuement la gorge avant d’expédier leurs mollards baveux sur le sol - le bruit est “enchanteur”. Lorsqu’une telle immondice est émise par une belle plante, le choc est brutal et de stristes considérations sur la nature humaine vous assaillent. On me rétorquera que chez nous, en Europe, les gens se mouchent à table ; à vrai dire, c’est une chose très mal vue en Chine et à Taïwan. En réalité, à chacun ses coutumes répugnantes.
Mémorial Tchang Kaï-chek
Je me précipite dans le métro. Je rejoins le mémorial Tchang Kaï-chek, haut lieu du tourisme mémoriel. Le Mass Rapid Transit (MRT) m’y emmène expéditivement. Très fonctionnel, il brille par sa propreté et sa modernité. Avec près de 2 millions d’usagers quotidiens, l’interdiction de boire et de manger ne s’avère pas superflue. L’incroyable discipline des taïwanais fait le reste. Une fois à l’air libre, je me retrouve dare-dare dans un immense jardin jonché de temples et de bâtiments anciens. L’un d’eux est un gigantesque édifice de marbre blanc, coiffé d’un toit octogonal de tuiles bleues. L’imposant monument abrite jalousement une statue de bronze d’importance nationale, représentant le président défunt.
Tchang Kaï-chek est, rappelons-le, l’ancien leader nationaliste qui s’opposa par les armes au communiste Mao Zedong pendant la guerre civile chinoise (1927-1949) ; le généralissime défait se replia avec 2 millions de partisans sur l’île de Formose (l’actuelle Taïwan), à seulement 160km des côtes chinoises. Bien qu’elle fût un rempart solide contre le péril rouge, la dictature qu’il instaura pendant près d’un quart de siècle soulève aujourd’hui de graves problèmes moraux.
Ching, 57 ans, est l’une de ces voix discordantes. A l’évocation du nom de l’ex autocrate, le visage de l’ancienne commerçante s’assombrit. Elle me déclare :
“Les arrestations et les assassinats politiques étaient monnaie courante à cette époque ; les libertés individuelles étaient bafouées. Ceux qui se hasardaient à formuler une autre opinion que celle établie étaient violemment châtiés ”
La séparation politique et idéologique avec la Chine continentale est consommée, mais l’Empire du milieu s’estime toujours souverain sur le petit État insulaire (et inversement !). Pour compliquer les choses, Taïwan, aussi appelée “République de Chine”, n'est pas reconnue par l’ONU.
Temple de Longshan
Une balade dans le quartier de Wanhua, le plus ancien de la ville, finit par me convaincre qu’il existe “deux Taipei” ; l’un avant-gardiste où fleurissent les gratte-ciel futuristes et les grandes Maisons de luxe (Dior, Chanel, Gucci, etc.), et l’autre plus populaire, où pullulent les immeubles décrépits comme les échoppes disgracieuses - mais qui certainement incarne "l’âme" de la capitale. Le quartier de Wanhua, bâti au XVIIIème siècle par les émigrés chinois venus du Fujian (la province côtière située de l’autre côté du détroit) en est l’archétype. En 1738, les colons y édifièrent le Temple de Longshan, ou “montagne des Dragons” ; ravagé successivement par un tremblement de terre, un typhon, et un bombardement, le sanctuaire sera systématiquement reconstruit. Fait curieux, il est aujourd’hui accolé à une boutique de lingerie.
En arpentant ses abords, je suis le témoin d’un bal particulièrement sordide. Tandis qu’une nuée de mendiants bat le pavé, une poignée d’handicapés en fauteuils roulants - le regard vitreux - se lance dans un interminable va-et-vient entre le vieille bâtisse et le métro proche, dans l’espoir de refourguer quelques chewing-gums au pékin. Plus loin, enkystés sur le trottoir, des moines jouent les gros bras devant l’entrée principale et s’adonnent occasionnellement à la méditation. Au milieu de cet essaim hétéroclite fourmillant, une cohorte de vieillards défie sévèrement les marchands ambulants avec leurs cannes affûtées ; la scène est kafkaïenne.
Rites populaires
Une fois extirpé de cette “cour des miracles” asiatique, je me réfugie prudemment dans le temple. À l’intérieur, je contemple le raffinement architectural, l’art calligraphique chinois et les différentes sculptures en pierre et en bois qui trônent ici-et-là. Entre deux fétiches, j’entrevois une cabine téléphonique et… un distributeur de billets ! Je tombe des nues, mais l’explication est simple.
Les fidèles ne disposant pas d’espèces pour acheter l’encens et la nourriture nécessaire aux offrandes, peuvent ainsi s’en procurer. Le sanctuaire, modèle de syncrétisme, accueille des reliques bouddhistes, taoïstes et confucianistes. Cette coexistence spirituelle pacifique illustre la profonde tolérance des taïwanais, mais démontre également l’imbrication de ces différents cultes, ou souligne leurs similitudes.
Un couple de taïwanais, abordé en plein cérémonial près d’un encensoir, m’explique leurs rituels :
“ Nous venons ici prier nos dieux et chercher leur protection ; chacun d’entre eux a un rôle spécifique : santé, fertilité, travail, amour, etc.”
“On peut même communiquer avec eux ”, s’enthousiasme Si Ying, une femme affable de 33 ans. Puis elle précise : “ Il faut jeter les Bwa Bwei [petits blocs de bois rouges en forme de croissant] par terre ; suivant la position dans laquelle ils atterrissent, une interprétation différente est possible. Le dieu sollicité pourra alors répondre par oui ou par non à notre question, ou refuser de le faire ; dans certains cas, la divinité ne comprendra pas notre requête, ou rigolera ”.
Festival des Lanternes
Je m’aventure à “Pingxi”, petit bourg rural situé dans le nord de l’île. En l’espace de quelques années, le modeste village s’est transformé en Mecque du “lancer de lanternes”, activité incontournable en fin de chaque Nouvel An chinois. Etrangement, l’endroit est coupé en deux par un chemin de fer. Entre deux trains, les vendeurs des boutiques touristiques traquent sans relâche le badaud.
Fait pittoresque, le hameau - perdu dans les montagnes verdâtres - regorge de maisons traditionnelles en bois de style ancien, legs architectural de l’occupation japonaise (1895-1945). En contrebas, une rivière large et rocailleuse coule paisiblement. La “fête des Lanternes”, ou “Yuan Xiao Jie”, a lieu exactement le 15ème jour du premier mois lunaire, respectant ainsi la tradition céleste et le calendrier luni-solaire adopté par les Chinois.
Le jour J, la bourgade gonfle brutalement, assaillie par les insulaires et les touristes étrangers, surreprésentés par les Japonais et les Coréens. La cohue, massive, empêche de se mouvoir ; il faut jouer des coudes pour avancer. À la tombée de la nuit, des centaines de lanternes en papier (“Hua Deng”) - d’ordinaire de couleur rouge - et illuminées par une bougie, sont lâchées dans le ciel. Certaines d’entre elles brûlent accidentellement à même le sol. D’autres encore restent coincées quelques secondes sous le pont surplombant la bourgade, déclenchant force fou-rires incontrôlés parmi la foule.
À cette occasion, Wei, jeune Taïwanais au look branché, m’éclaire sur cette tradition ancestrale :
“Avec mes amis, nous lançons chaque année une lanterne volante, mais pas nécessairement à Pingxi (…) Sur les lanternes calligraphiées, les gens inscrivent généralement leurs vœux pour l’année à venir ; ils souhaitent le plus souvent rester en bonne santé et être heureux ”
Plus tard dans la soirée, le jeune homme m’invitera à partager des “Yuanxiao”, ces petites boulettes de riz gluant fourrées au sésame noir, consommées généralement le soir de l’évènement – elles sont exquises ; par chance, aucun rot disgracieux ne viendra cette fois-ci troubler la dégustation…
Jérémie Dardy
Pour aller plus loin
Taiwanmag, portail d'infos très intéressant sur Taïwan
Le journal de Zoical, écrits frétillants et savoureux sur divers sujets, dont Taïwan
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