Stéphane Hessel, ne méprisons pas l'icône

 

Stéphane Hessel au Panthéon ? L’idée dérange, certes… Mais à l’heure de l’humanisme 4G, des haines en streaming et du crottin polémique, nos élites ne frisent pas l’azur. Reformater nos enthousiasmes à l’échelle de notre époque n’est pas une hérésie : il s’agit, dorénavant, d’une question de survie collective. Ayons l’humilité d’être réalistes: nos héros ne seront plus si grands qu’autrefois, et nous devons préparer cette réalité transitoire. Alors Hessel, pourquoi pas… Après tout, son génie lacunaire a le mérite d’être accessible à nos générations.


Le pessimisme existentiel nous gagne lorsque nous ne trouvons plus moyen de nous enthousiasmer. Pour ne pas dépérir spirituellement, nous devons être en capacité d’admirer, de chercher l’émulation, d’aimer de nouvelles grandes figures… quand bien même elles ne seraient pas si grandes. Stéphane Hessel ne parvient pas à la rotule de Chateaubriand, ni au talon de Jaurès.

Il n’empêche : cet ancien résistant, ce grand diplomate fut un molosse académique, une véritable pointure dans la chaussure trouée de la Nation. La France, dont l’idéal a insensiblement glissé de l’humanisme à l’humanitaire, se retrouve moins probante qu’une ONG de tierce zone. Dans les méandres de son néant, peu d’échos de l’antan.

Stéphane Hessel, lui, fut un antidote. Il injecta son dard dans les chairs de notre histoire, et nous piqua jusqu’à la moelle… pour le rappel ; nous réveiller, nous extraire de l’abrutissement dans lequel nous végétions. Certes, tout vaccin contient une dose de poison, et les giclées d’Hessel ne dérogent pas à la règle : l’opportunisme médiatique et la fausse modestie furent les péchés de ses vieux jours. Véniels, car bien communs. De la Palestine aux sans-papiers, il fut de tous les combats égotiquement gratifiants. Avec lui, la bombonne à meringue explosait chaque matin ; il léchait la confiture de la doxa quand d’autres préfèrent manger leur pain noir… la vérité n’étant jamais sucrée.  Hessel dans le texte, c’est moelleux comme du marshmallow :


« Au lieu de mettre les Roms à la porte, qu’on les aide à trouver leur place dans la société » ; «L’identité de la France est faite d’une succession de mouvements migratoires» ; « La multiplicité des cultures est la seule chose qui fait une culture» ; «Aujourd’hui plus que jamais, il nous faut renouer avec les valeurs promues par les résistants : Sécurité sociale pour tous, résistance contre les féodalités économiques, école pour tous, sans oublier la presse indépendante»…


Comment contredire le vieux khâgneux ? Ces vérités faciles ne sauraient être contestées, mais soyons francs : trouve-t-on ici une once de courage ? Et qu’est-ce donc que le courage, sinon le fait consenti de déplaire, d’être trainé dans la boue, calomnié de tous bords ? Qu’est-ce donc que le courage, sinon le consentement viril à l’isolement ? Soit, on ne remet pas en cause l’intégrité morale d’un rescapé de Buchenwald, mais tout de même…  Un homme qui termine ses vieux jours confortablement courtisé par le mainstream ambiant, adulé par les parterres pour proclamer sa haine de l’intolérance et son amour de la justice… cela peut légitimement être suspecté. Les véritables hommes de courage, ce sont ceux qui choisissent de crever sous les crachats et les moqueries de la foule ; ayant raison contre leur époque, n’ayant de soutiens qu’à l’heure de la postérité.

Stéphane Hessel, reconnaissons-le, ce ne fut pas exactement cela. Un véritable résistant, oui ; une conscience d’élite, certainement. Mais au plan des idées, ce ne fut pas un tirailleur sénégalais. Ici réside le point central du litige : on amalgame les vertus de sa jeunesse aux propos de son crépuscule. Dans un même élan, on assimile les unes aux autres, puis on façonne une icône. 


Cette icône, ne la reléguons pas dans les poubelles de notre mémoire. Prenons le parti de l’admirer, malgré son clinquant manifeste. Elle est belle, elle est chaude. A ceux qui savent contempler sérieusement, elle a beaucoup à offrir.  Soyons vastes et accueillants. Ne méprisons jamais ce qui, de la dignité, montre un peu de faiblesse.   

 

Pierre-André Bizien

 

 


 

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