La guerre de Sécession est le conflit le plus meurtrier de l’histoire des Etats-Unis. Le bilan s’élève à 618 000 morts, soit près de onze fois les pertes américaines enregistrées lors de la guerre du Vietnam (1959-1975). Les morts par maladie sont deux fois plus nombreuses que celles occasionnées par les blessures ; elles surviennent principalement en périphérie des zones de combat, dans les hôpitaux et prisons. Cette lutte fratricide déchire le pays pendant quatre ans. Elle débouche sur le rétablissement de l’unité nationale, et l’abolition de l’esclavage qui demeurait légal dans les Etats sudistes. La liquidation de cette pratique fut actée par le XIIIe amendement du 18 décembre 1865.
Le conflit oppose le Nord industriel, plus peuplé (22,5 millions d’habitants sur une population totale de 31,5 millions) au Sud rural et esclavagiste. En 1860, les Noirs représentent près du tiers des habitants du Sud, soit 3,5 millions d’individus. L’expansion territoriale vers l’Ouest et l’élection de Lincoln à la présidence de l’Union précipitent l’affrontement armé. De fait, le progressisme des nordistes sur la question de l’esclavage irrite les Etats du Sud, premiers producteurs mondiaux de coton ; leur main d’œuvre servile constitue le pilier de l’économie locale, et son maintien conduit à la sécession.
Une fois engagées, les hostilités opposent 880.000 soldats sudistes à 2,1 millions de combattants nordistes. Dans les rangs de l’Union, près d’un soldat sur quatre est d’origine étrangère (souvent immigrés Allemands ou Irlandais, charriés par la misère en Europe). Ces nouveaux migrants renforceront également le camp sudiste, mais dans une moindre mesure.
L’apparition du train sur le champ de bataille permet, grâce aux 36 000 kilomètres de voies ferrées récemment construites, de faire face à l’immensité du territoire. Les fusils à tir rapide, la balle Minié, le réseau télégraphique – et les canons à longue portée – marquent un tournant majeur en matière d’armement et de logistique. Autre révolution de l’équipement militaire : les navires cuirassés et l’entrée en service du premier sous-marin opérationnel (CSS Huntley en 1864).
Toute cette modernité logistique se conjugue à l’héritage hargneux des vieux âges : malgré les limitations légales qui fixent l’âge de la conscription à 18 ans, certains enfants prennent part aux combats. Mentionnons, entre mille profils comparables, le cas du petit John Clem : âgé de 10 ans, il participe comme tambour à la bataille de Shiloh (avril 1862).
Naissance d'une nation
Près d’un siècle plus tôt, la guerre d’Indépendance contre l’Angleterre (1775-1783) avait donné naissance aux États-Unis d’Amérique. Au prix de lourdes pertes, la colonie surtaxée s’était affranchie du joug britannique. En 1787, les patriotes adoptèrent une Constitution novatrice et le « Bill of Rights » (la Déclaration des Droits) ; les dix premiers amendements garantissent aux citoyens les libertés fondamentales (liberté de religion, de la presse, droit de porter les armes, souveraineté des États au sein d’un État fédéral…). Les bases d’un État démocratique sont ainsi jetées.
D’abord cantonnés entre l’Atlantique et la chaîne des Appalaches, les treize premiers États se lancent dans une conquête frénétique de l’Ouest du continent. Le traité anglo-américain de Paris (1783), l’achat de la Louisiane à Bonaparte (1803), la promulgation de l’ « Indian Removal Act » (1830) et la guerre du Mexique (1846-1848) illustrent cette extension territoriale inexorable. L’expansionnisme est théorisé par le concept d’une « destinée manifeste », et vivement encouragé par les Démocrates. Les populations indiennes, très divisées, sont progressivement repoussées. Par la sueur et le sang, le vieux rêve d’une nation continentale prend forme. Ces annexions successives font surgir un clivage politique aigu : les nouveaux territoires sont-ils compatibles avec la pratique de l’esclavage, ou doit-on la bannir ?
Vers la Sécession
Tous les efforts sont entrepris pour préserver l’Union. Le compromis de 1850 et l’arrêt Dred Scott (Cour suprême fédérale, 6 mars 1857) tendent vers cet objectif. Cependant, les divisions apparues lors de la seconde guerre d’indépendance contre l’Angleterre (1812-1815), tout comme la crise de la nullification (1832-1833) sapent l’union. La discorde culmine avec la tentative avortée de soulèvement d’esclaves de John Brown (1859). La crise approche, inexorable.
Au 1er février 1861, sept Etats ont fait sécession : la Caroline du Sud, le Mississippi, la Floride, l’Alabama, la Géorgie, la Louisiane et le Texas ; bientôt rejoints par l’Arkansas, la Caroline du Nord, le Tennessee et la Virginie (dont la capitale, Richmond, servira de siège à la Confédération). Les séparatistes adoptent la Constitution des Etats Confédérés d’Amérique, et élisent un président, Jefferson Davis. La division culturelle fend le territoire comme une lame de bronze, dépassant le référent symbolique de l’esclavage.
La Guerre civile américaine n’a pas été menée comme une croisade passionnée contre l’esclavage (…) L’esclavage devint le symbole visible de l’ensemble des différences culturelles, géographiques, politiques, et économiques divisant le Nord et le Sud » (Richard Humble, American Civil War, Prion, 1991)
Abraham Lincoln, nouveau président de l’Union, refuse la division. Il ne peut donc tolérer cette Confédération du Sud, suintant comme une mousse acide sur la terre sacrée d’Amérique. La guerre éclate, inévitable. Le 12 avril 1861, les Confédérés déclenchent les hostilités en attaquant Fort Sumter, bastion fédéral situé dans la baie de Charleston (Caroline du Sud). Parallèlement, Lincoln proclame un blocus maritime contre les ports du Sud (la bande littorale à surveiller est immense : 5 000 kilomètres).
Bull Run, débâcle nordiste
Le 21 juillet 1861, les troupes unionistes du général McDowell tentent une percée à Manassas (Virginie). L’objectif est de prendre possession de la voie ferrée et de marcher sur Richmond. Plusieurs centaines d’habitants, venus directement de Washington (située à seulement 40 km), accompagnent les régiments ; convaincus de l’anéantissement rapide des rebelles, les badauds ont naïvement apporté leurs nécessaires à pique-nique et des jumelles pour observer les pugilats.
Parmi les 35 000 assaillants fédéraux, beaucoup sont de jeunes recrues inexpérimentées ; lors de l’offensive, ils se révèlent incapables d’enfoncer les lignes sudistes. Les défenseurs, plus aguerris, sont solidement retranchés derrière la rivière Potomac et ses affluents. Leur résistance est opiniâtre. Appelée en renfort, l’artillerie nordiste parvient à bousculer un temps les troupes du général Beauregard, sans emporter la décision.
Un plan plus audacieux est mis en œuvre pour submerger l’ennemi. Une brigade sous les ordres du général Sherman est chargée de traverser le Bull Run et d’envahir « Henry House Hill », la colline surplombant le champ de bataille. Les Fédéraux tombent dans un piège. Cinq régiments virginiens et la légion de Hampton s’y sont dissimulés. Les assauts yankees sont invariablement repoussés. La contre-attaque sudiste provoque la panique dans les rangs de l’Union et entraîne une retraite confuse. Quelques 12 000 soldats fédéraux errent de tous côtés, totalement désemparés.
Lorsque le président confédéré arrive de Richmond en train, il pense d’abord, en raison du chaos ambiant, à une défaite de son armée. Le général Thomas J. Jackson, qui y gagna le surnom de « Stonewall Jackson » (le mur de pierre), le rassure aussitôt en s’écriant :
Nous leur avons donné une bonne correction. Ils couraient comme des lapins. Donnez-moi cinq mille hommes frais et je serai à Washington demain ! » (John Keegan, La guerre de Sécession, 2009)
Jefferson Davis s’y oppose catégoriquement. Il préfère rester fidèle à sa stratégie de « guerre défensive ».
Antietam, l’impasse sanglante
Le 17 septembre 1862, le général sudiste (mais anti-esclavagiste) Robert E. Lee, à la tête de 40.000 soldats, affronte le général McClellan et ses 80 000 hommes. La mêlée a lieu près de Sharpsburg (Maryland). Les Confédérés, écrasés par la supériorité numérique adverse, se résolvent à défendre. Ils prennent fermement position sur les rives de l’Antietam Creek (affluent du Potomac) et attendent patiemment les Yankees. L’affrontement aura lieu entre deux rivières, dans un espace confiné d’à peine 5 km².
La bataille débute par des assauts acharnés. Le général Burnside, officier unioniste, incarne avec brio la détermination nordiste. Il exhorte constamment ses hommes à lancer de nouvelles charges pour s’emparer du pont Rohrbach, l’un des verrous stratégiques du dispositif défensif ennemi. Un soldat fédéral témoigne :
« Nous tirions sur eux comme des moutons dans un enclos » (Geoffrey C. Ward, The Civil War, American Documentaries, 1990)
Malgré la violence répétée des attaques, la place forte ne cède pas, telle un verrou d’airain. Les forces confédérées s’accrochent désespérément à leurs positions. La confrontation s’enlise et vire à la boucherie. Au bout d’une journée, les forces de Lee sont éprouvées. Acculées, elles sont contraintes de battre en retraite dans la nuit. L’Union a mis en déroute les mutins. Les pertes totales dans les deux camps s’élèvent à 23 000 victimes.
C’est le jour le plus sanglant de l’histoire des Etats-Unis. Ce succès est sans lendemain pour l’Union. Le 13 décembre suivant, le général Lee écrase l’armée fédérale à Fredericksburg, dans le nord de la Virginie » (Farid Ameur, La guerre de Sécession, 2011)
Gettysburg, le tournant de la guerre
La bataille de Gettysburg se déroule du 1er au 3 juillet 1863, en Pennsylvanie. Lee réunit 64.000 hommes et son adversaire, le général Meade, en dispose de 99.000. Les forces gouvernementales sont immédiatement mises en déroute dans la plaine découverte. Les Bleus, bousculés, s’enfuient vers Gettysburg et s’y barricadent. Lee poursuit le régiment de cavalerie fédéral et le repousse jusqu’au nord de la ville ; ensuite, il investit la cité à son tour et attend l’aide de son second, le général Stuart.
Lee a gagné la première manche, mais il se trouve sérieusement handicapé (…) L’armée fédérale – beaucoup plus forte que la sienne comme toujours – est sur la défensive et sur son propre sol. Les facteurs qui équilibraient les forces n’interviennent pas ici » (Bruce Catton, La guerre de Sécession, Payot, 1976)
Les renforts arrivent par intermittences dans chaque camp et permettent de relever les soldats extenués. Lee, lucide, se rend compte que la disproportion des forces grandit en sa défaveur. Le temps presse. Le « renard gris » de la Confédération doit rapidement porter un coup mortel à son ennemi, sous peine d’être annihilé à son tour. Décidé, il lance ses réserves d’infanterie dans un corps à corps sanglant avec l’armée du Potomac.
Un canonnier de l’Union de la « Meredith’s Iron Brigade » rend compte de la violence de l’affrontement :
Pendant sept ou huit minutes consécutives ce fut probablement la bataille la plus désespérée jamais engagée (…) les balles sifflent ; le canon rugit ; fumée, poussière, sang, éclats, épave et un carnage indescriptible » (James M. McPherson, The Atlas of the Civil War, Macmillan, 1994)
En dépit de l’élan spectaculaire de la charge, la division Pickett est anéantie. Les défenseurs, à l’abri derrière les arbres et les rochers ont aisément pu décharger leurs fusils.
Les espoirs de victoire confédérée s’évanouissent dans ce dernier assaut. Le lendemain, la défaite de Vicksburg (Mississippi) enfonce d’un cran le destin. Les Sudistes, en dehors de quelques succès épisodiques, n’arriveront plus à inverser durablement le cours de la guerre ; leur résistance obstinée prolongera le conflit 21 mois encore.
Après la guerre, le sang caillé
Le 9 avril 1865, à Appotamox, le général Lee signe la capitulation du Sud. Le 14, Lincoln est assassiné. Le président sudiste Jefferson Davis est emprisonné pendant deux ans. Le gouvernement fédéral entreprend une politique de reconstruction du pays. 178 975 Noirs servirent dans l’armée de l’Union. En juillet 1868, le XIVe amendement leur accorde les droits civiques, mais la liberté véritable est encore lointaine : dès 1877, la ségrégation raciale s’installe. Il faut attendre un siècle, avec la présidence de Lyndon Johnson (1963-1968), pour que les Noirs jouissent pleinement de leurs droits civiques, du moins officiellement.
Jérémie Dardy
Pour aller plus loin
Bevin Alexander, Robert E. Lee’s, Civil War, Hollbrook, 1999
Farid Ameur, La guerre de Sécession, Gaëlle Mauduit Editions, 2011
Joseph Beilein, Matthew Hulbert, The Civil War Guerrilla, The University Press of Kentucky, 2015
Bruce Catton, La guerre de Sécession, Payot, 1976
Richard Humble, American Civil War, Prion, 1991
Archer Jones, Civil War Command and Strategy : The Process of Victory and Defeat, New York, 1992
Terry L. Jones, The A to Z of the Civil War, the Scarecrow Press, 2006
André Kaspi, La guerre de Sécession – Les Etats désunis, Gallimard, 1992
John Keegan, La guerre de Sécession, Perrin, 2009
Revue L’Histoire, numéro 361, février 2011
James M. McPherson, The Atlas of the Civil War, Macmillan, 1994
Christian Montès, Pascale Nédélec, Atlas des Etats-Unis, Autrement, 2016
Bernard Vincent, Histoire des Etats-Unis, Flammarion, 1997
Geoffrey C. Ward, The Civil War, American Documentaries, 1990
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