Créée en 1978 à Marseille, la compagnie maritime CMA CGM a connu une expansion importante ces dernières années. Alors qu'en 2000, cet armateur occupait le 10ème rang mondial, il atteint désormais la 3ème place des groupes de transport maritime de marchandises (2015). Implanté dans plus de 160 pays, CMA CGM emploie 22000 personnes dont 4500 en France. Actuellement, l'armateur marseillais transporte près de 13 millions de conteneurs « Équivalent Vingt Pieds » (EVP) par an et génère un chiffre d'affaires de plus de 15 milliards d'euros (2015). Sous l'effet de la mondialisation, CMA CGM a en effet profité de l'essor des échanges internationaux. En quatre décennies, les volumes échangés ont quadruplé en passant de 2,5 milliards de tonnes en 1970 à plus 10 milliards de tonnes en 2014. Par ailleurs, à l'échelle mondiale environ 90 % des marchandises sont échangées par voie de mer par 50 000 navires dont plus de 5000 porte-conteneurs.
Avec une flotte qui comprend 470 navires, CMA CGM a une capacité totale de transport de 1,88 millions d'EVP. À l'instar de ses concurrents Mærsk et MSC, CMA CGM s'est lancé dans une course au gigantisme naval. Depuis 2009, la compagnie maritime s'est ainsi dotée de 14 porte-conteneurs géants pouvant transporter entre 12217 et 17859 EVP. Inauguré le 06 octobre 2015 en présence du Président de la République française, le Bougainville, le navire-amiral de la compagnie est l'un des plus gros porte-conteneurs du monde avec une capacité de 17722 EVP. En réalité, ces acquisitions sont non seulement destinées à répondre à l'accroissement des flux commerciaux entre l'Asie, l'Europe et l'Amérique du Nord mais doivent également renforcer la compétitivité de CMA CGM. La modernisation de la flotte de l'armateur français doit permettre de baisser le coût de transport des conteneurs via une plus grande capacité d'emport et des navires plus économes en énergie. Pour rappel, la consommation de carburant représente 60 % des coûts fixes d'un trajet hors manipulation de la cargaison. De ce fait, les porte-conteneurs de la génération du Bougainville réalisent des économies d'échelle d'environ 15 % par rapport aux versions précédentes.
À travers la conteneurisation du transport de marchandises, les compagnies maritimes sont donc devenues des acteurs essentiels de la mondialisation. À ce propos, en octobre 2014 les Armateurs de France soulignaient que :
Le coût du transport maritime est bien souvent négligeable dans le prix final d’une marchandise importée. Entre la Chine et l’Europe, une TV à 1 000 $ coûte 8-10 $ à transporter tandis qu’un T-shirt à 30 $ ne coûte que 3 centimes. Les coûts de transport ne représentent donc qu’un centième du prix final d’une marchandise. Le transport maritime est, sur longue distance, le plus compétitif des modes. A tel point que le coût du transport d’un conteneur sur sa partie terrestre de quelques centaines de kilomètres, peut égaler le coût de transport de ce même conteneur entre l’Asie et l’Europe»
Actuellement, CMA CGM détient 8,9 % des parts de marché en matière de fret maritime contre 14,7 % pour Mærsk et 13,3 % pour MSC. Toutefois, l'armateur marseillais pourrait se renforcer si l'actionnaire majoritaire de la compagnie singapourienne Neptune Orient Lines (NOL) accepte son offre de rachat de 2,2 milliards d'euros. CMA CGM consoliderait alors sa présence en Asie-Pacifique et gagnerait une capacité supplémentaire de 2,8 millions d'EVP. Au final, les parts de marché de la compagnie française pourraient s'élever à 11,5 % du total mondial. Dans le cadre de la compétition que se livrent les grands armateurs, des stratégies d'alliance sont recherchées pour développer leurs positions sur certains marchés. L'an dernier, Mærsk, MSC et CMA CGM ont ainsi tenté de mutualiser leurs moyens dans le cadre du projet P3. Refusé par Pékin qui voyait d'un mauvais œil une alliance entre ces armateurs européens, ce projet devait desservir via 225 navires, 29 routes maritimes sur les marchés Asie-Europe, Transatlantique et Transpacifique.
Suite à cet échec, Mærsk et MSC ont conclu un nouvel accord « Vessel Share Agreement » sans CMA CGM. D'une durée de dix ans, ce partenariat concerne 185 vaisseaux d'une capacité de 2,1 millions d'EVP qui sont déployés sur 22 lignes reliant les pôles de la « Triade » (Asie, Europe et Amérique du Nord). Face à cette alliance, CMA CGM a développé le partenariat Ocean Three avec l'armateur chinois CSCL et la compagnie panarabe UASC. À travers, cet accord, la compagnie française renforce sa présence sur les dessertes maritimes Est / Ouest grâce à la mutualisation de 195 navires capables de transporter 1,9 millions de conteneurs. De plus, ce partenariat doit maximiser les profits de l'armateur sur la desserte stratégique Europe-Asie en garantissant un remplissage maximal de ses porte-conteneurs. Aussi, pour continuer à réduire les coûts d'exploitation de leur flotte, les dirigeants de CMA CGM envisagent d'établir de nouveaux partenariats sur des lignes Nord-Sud.
Alors que la marine marchande représente près de 2,8 % des émissions de gaz à effets de serre dans le monde, les grands armateurs se sont engagés dans des stratégies de développement durable. Sur ce sujet, Jacques Saadé, le fondateur et PDG du groupe CMA CGM déclare que :
Notre développement ne peut s'envisager sans promouvoir une attitude responsable vis-à-vis des enjeux sociétaux auxquels nous sommes confrontés. CMA CGM se doit d'être exemplaire en matière de protection de l'environnement, que ce soit à travers la lutte contre le changement climatique ou la préservations des océans »
Pour atteindre ces objectifs, le renouvellement des flottes - par des navires plus efficients - doit réduire les émissions de protoxyde d'azote générées par les moteurs des porte-conteneurs. Selon CMA CGM, la mise en œuvre de nouvelles technologies dans la conception des navires, et de mesures telles que la réduction de la vitesse des bateaux ont permis de diminuer l'empreinte carbone des EVP transportés. Ainsi, entre 2005 et 2015, celle-ci a été réduite de 50 %, en passant de 116 grammes de CO2 par kilomètre parcouru pour chaque conteneur à 60 grammes aujourd'hui. Quant aux navires les plus récents comme le Bougainville, CMA CGM affirme qu'ils ne rejettent que 32 grammes de CO2 par kilomètre et par EVP. De plus, la compagnie s'est aussi engagée dans l'intermodalité pour abaisser les émissions de CO2 liées au transport terrestre des conteneurs. CMA CGM propose ainsi de combiner les transports fluviaux, ferroviaires et routiers pour acheminer les EVP en direction des terminaux portuaires et des « hinterland ». Somme toute, cet engagement dans l'intermodalité permet à CMA CGM d'avoir une meilleure maîtrise des coûts tout au long de la chaîne de transport des EVP.
Depuis la fin des années 1990, CMA CGM s'affirme comme un des plus importants acteurs de la maritimisation des échanges. Pourtant, tout comme ses concurrents, il a dû faire face à d'importantes pertes financières lors de la crise économique de 2008 / 2009. Pour optimiser ses profits tout en garantissant des prix de transport peu élevés, l'armateur français s'est donc lancé dans l'acquisition de porte-conteneurs géants. De surcroît, le rachat de NOL et la politique de coopération qu'il engage avec d'autres compagnies de « shipping » montre qu'il cherche à renforcer son réseau mondial. Cependant, la stratégie de CMA CGM repose également sur l'accroissement de ses activités en matière de prestations logistiques et de transport intermodal. À court et moyen terme, l'armateur ambitionne ainsi de réduire l'écart capacitaire qui le sépare de Mærsk et MSC.
Alexandre Depont
Pour aller plus loin
Site de CMA CGM : www.cma-cgm.fr
« Transports maritimes et mondialisation » (Compte-rendu du café géographique de Chambéry-Annecy du 25 février 2015 avec le géographe Antoine Frémont), Les Cafés Géographiques, 10 mars 2015, http://cafe-geo.net/
« Le Bougainville, le plus gros porte-containers au monde », France Info, 06 octobre 2015, www.franceinfo.fr
« Conteneur : Les Chinois font échec à l'alliance P3 », Mer et Marine, 18 juin 2014. www.meretmarine.com
« COP 21, les armateurs veulent être impliqués », Mer et Marine, 02 décembre 2015. www.meretmarine.com
COUTANSAIS Cyrille P., « Transport maritime. Entre globalisation et développement durable», Études 3/2010 (Tome 412) , p. 307-318. www.cairn.info
DUERMAËL Aymeric, « Un cas d'accroissement de puissance dans le transport maritime », Infoguerre, 9 juillet 2015. www.infoguerre.fr
MOLGA Paul, « CMA CGM sur le point de racheter le singapourien Neptune Orient Lines », Les Echos, 23 novembre 2015. www.lesechos.fr
RANDOIN Julien, « Avec l’alliance Ocean Three, la CMA-CGM met-elle le cap définitivement vers l’Est ? », Portail de l'IE, 18 février 2015. www.portail-ie.fr
TOURRET Paul, « CMA CGM, fleuron français de la conteneurisation », ISEMAR, Mai 2013. www.isemar.asso.fr
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