Créé en 1996 à partir de la fusion des groupes Ciba-Geigy et Sandoz, Novartis est la plus grande firme pharmaceutique du monde. Implantée dans 140 pays, cette transnationale helvète emploie 130 000 personnes et a réalisé un chiffre d'affaires de 57,9 milliards de dollars en 2013. Actuellement, le montant global de sa capitalisation boursière atteint plus de 255 milliards de dollars alors que la cotation de ses actions à New York est passée de 79 à 94 dollars depuis le 1er janvier 2014.
Cependant, deux ans après avoir ravi à la firme américaine Pfizer le titre de numéro un mondial du secteur pharmaceutique, Novartis a annoncé au printemps dernier une réorganisation de sa production. Ainsi, la multinationale suisse a cédé ses divisions consacrées aux soins vétérinaires et à la vaccination à deux firmes anglo-saxonnes, Eli Lilly (États-Unis) et GlaxoSmithKline (Royaume-Uni). De fait, Novartis entend conforter son hégémonie sur le secteur pharmaceutique en se recentrant sur un nombre plus limité d'activités. Novartis a donc racheté le pôle oncologie de GSK, et envisage à moyen terme de détrôner Roche sur le marché des produits spécialisés dans la lutte contre le cancer. Selon David Epstein, le responsable de la division Pharma du groupe, l'anticancéreux Afinitor serait susceptible de générer à lui seul 3 à 4 milliards de dollars par an.
Fort du développement d'une trentaine de molécules testées sur l'homme dont la commercialisation pourrait intervenir d'ici 2018, Novartis axe son expansion sur l'élaboration de nouvelles générations de produits pharmaceutiques. Cependant, le groupe helvète n'abandonne pas pour autant la production de médicaments plus ''classiques'' à ses concurrents. La création d'une joint venture avec GSK dans le secteur des médicaments sans ordonnance permet à Novartis de conforter ses positions sur le marché de l'automédication. De même, le secteur des médicaments génériques demeure une priorité des activités de Novartis. En 2013, les ventes de Sandoz sur ce segment d'activité ont progressé de 5% pour un chiffre d'affaires qui s'est élevé à 9,2 milliards de dollars.
Enfin, Alcon domine le secteur des produits ophtalmiques avec des ventes qui ont augmenté de 3 % en 2013 pour un chiffre d'affaire qui a atteint 10,5 milliards de dollars. Par ailleurs, à travers la conclusion d'un partenariat avec Google, Novartis souhaite développer des lentilles de contact ''intelligentes''. Grâce à l'intégration de composants électroniques, celles-ci permettraient de corriger certaines pathologies oculaires comme la presbytie. En outre, cette technologie pourrait aussi aider les diabétiques en mesurant en continue la glycémie des malades via l'analyse du liquide lacrymal. De l'aveux même de Joseph Jimenez, le PDG de Novartis, en s'alliant avec Google, la firme Suisse veux créer une rupture technologique dans le traitement de certaines maladies et s'assurer une position de pionnier sur de nouveaux marchés :
Nous sommes impatients de travailler avec Google pour mettre en commun leur technologie de pointe et notre connaissance approfondie de la biologie pour répondre aux besoins médicaux non satisfaits[...] Il s'agit d'une étape clé pour nous d'aller au-delà des limites de la gestion de la maladie traditionnelle, à commencer par l'œil ''
A première vue rien ne semble freiner l'expansion de Novartis qui bénéficie d'une bonne implantation dans plusieurs marchés stratégiques des pays développés. Pourtant, plusieurs scandales ont entachés l'image de marque de la transnationale bâloise. Après avoir perdu un premier procès contre l'Inde en 2007 à propos de la violation de ses brevets, et notamment celui d'un anticancéreux le Glivec, Novartis a de nouveau été débouté par la justice indienne le 1er avril 2013. Durant ces épisodes judiciaires, les ONG Médecins Sans Frontières et Oxfam ont érigé le combat judiciaire de la firme Suisse en un symbole d'un nouvel ''apartheid sanitaire'' organisé par le secteur pharmaceutique.
Au Japon, Novartis est impliqué dans deux affaires qui mettent en jeu la qualité de ses produits. La première concerne la falsification des résultats d'essais cliniques du Diovan, un médicament destiné à traiter l'hypertension, qui rapporte près de 960 millions de dollars de recette annuelle dans ce pays. Quant à la seconde, elle se rapporte à la non divulgation au Ministère de la Santé, de 2579 cas d'effets secondaires graves liés à l'utilisation de traitements anticancéreux (Glivec, Tasigna, Afinitor). Suite à ces scandales, la multinationale helvète a donc été obligée de réorganiser sa filiale nippone en révoquant ses dirigeants.
Aux États Unis, Novartis a été mêlé dans plusieurs cas de corruption. Après avoir été accusée en 2013 de payer des médecins pour stimuler la vente de ses médicaments, la firme suisse fait l'objet de nouvelles poursuites car elle aurait versée des pots-de-vin à la société BioScrip. Selon la justice américaine, cette entreprise démarchait des milliers de patients en vue de doper les ventes d'Exjade, un médicament destiné à faire baisser le taux de fer dans le sang. Cependant, les autorités américaines estiment que Novartis a cherché à cacher les effets secondaires de ce produit auprès des patients contactés.
En Europe, l'autorité italienne de la concurrence a condamné le groupe Suisse et son compatriote Roche à une amende de 182,5 millions d'euros pour entente illicite à propos de la commercialisation du Lucentis, un médicament destiné au traitement de la DMLA. Il se trouve que malgré le potentiel de son anticancéreux Avastin dans le traitement de cette maladie, Roche n'a pas demandé d'autorisation d'extension de mise sur le marché pour ce produit. En fait, cette firme détient des intérêts communs avec Novartis dans la vente du Lucentis.
En effet, le mécanisme d'action thérapeutique de ce médicament a été vendu par la société californienne Genentech à Novartis pour une application en ophtalmologie et à Roche en carcinologie. Toutefois, depuis 2003, Genentech a été cédée en totalité à Roche. Le laboratoire suisse touche donc des royalties sur les ventes de Lucentis dont l'injection coûte environ 900 euros contre 30 à 50 euros pour l'Avastin. Depuis la révélation de cette affaire, les autorités sanitaires françaises ont décidé d'étendre l'utilisation de l'Avastin au traitement de la DMLA et cela au détriment du Lucentis.
Malgré ces affaires embarrassantes, Novartis veut étendre ses parts de marché dans les pays émergents. L'Afrique fait ainsi l'objet de tous les soins du laboratoire suisse qui abandonne le « tout générique » pour proposer des produits d'une gamme supérieure sur ce continent. Grâce à d'importants investissements et l'implantation de nouvelles usines, Novartis espère devenir d'ici 2020 le premier fournisseur de médicaments de l'espace africain devant Sanofi et GSK. En 2014, les ventes de Novartis ont ainsi progressé de 20 % sur le continent noir alors que l'entreprise qui dispose de sites en Afrique de l'Ouest (Côte d'Ivoire, Nigeria), de l'Est (Kenya) et Australe (Afrique du Sud) cherche à pénétrer durablement les marchés d'Afrique subsaharienne.
Enfin, à l'échelle mondiale le succès de Novartis ne se dément pas. Celui-ci repose sur un modèle de recherche et développement qui se démarque de ceux de la concurrence. En effet, à la différence des groupes pharmaceutiques qui externalisent en grande partie leur R&D via des partenariats avec des start-up et des universités, Novartis maintient en interne une part importante de cette activité. Répartis sur l'ensemble du globe, les Instituts Novartis pour la recherche biomédicales (NIBR) regroupent plus de 6000 chercheurs et cliniciens. Ces instituts sont financés grâce à des investissements qui atteignent 22 % du chiffre d'affaires de la division Pharma.
Cette forte internalisation ainsi que l'importance des sommes investies dotent le laboratoire d'une ''force de frappe'' qui lui donne un avantage dans la compréhension des mécanismes génétiques des maladies et l'élaboration de molécules destinées à traiter plusieurs pathologies. De surcroît, ces instituts constituent aussi un atout majeur dans la conclusion de projets d'avant-garde avec d'autres sociétés (Google, Servier...). Les NIBR sont donc au cœur d'une stratégie dont le but est de concevoir une nouvelle génération de blockbusters qui conforteront l'hégémonie mondiale de Novartis.
Alexandre Depont
POUR ALLER PLUS LOIN
Site institutionnel de Novartis : www.novartis.com
"Les États-Unis poursuivent Novartis pour corruption", Le Monde, 9 janvier 2014, http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/01/09/les-etats-unis-poursuivent-novartis-pour-corruption_4344923_3222.html
"Novartis joue sa réputation au Japon", Les Échos, 10 janvier 2014, http://www.lesechos.fr/10/01/2014/LesEchos/21602-087-ECH_novartis-joue-sa-reputation-au-japon.htm
"Labos : Novartis impliqué dans un scandale de corruption ", La Nouvelle Tribune, 12 janvier 2014, http://lnt.ma/novartis-geant-pharmaceutique-implique-dans-un-scandale-de-corruption/
'' Les ventes de Novartis ont augmenté à 57,9 milliards d'euros en 2013 ", Bilan, 29 janvier 2014, http://www.bilan.ch/entreprises/les-ventes-de-novartis-ont-augmente-579-milliards-en-20
"Affaire Lucentis / Avastin, petits arrangements entre labos ", Le Point, 14 avril 2014, http://www.lepoint.fr/sante/affaire-avastin-lucentis-petits-arrangements-entre-labos-14-04-2014-1812922_40.php
"Novartis rachète la division ontologique de GSK pour 14,5 milliards", Bilan, 22 avril 2014, http://www.bilan.ch/entreprises/novartis-rachete-la-division-oncologique-de-gsk-pour-145-milliards
Infos Reuters, ''Novartis fait peau neuve'', L'Usine Nouvelle, 22 avril 2014, http://www.usinenouvelle.com/article/novartis-fait-peau-neuve.N256888
Gaëlle Fleitour, ''Nouveau numéro un mondial de la pharmacie, Novartis dévoile sa stratégie'', L'Usine Nouvelle, 26 juin 2014, http://www.usinenouvelle.com/article/nouveau-numero-un-mondial-de-la-pharmacie-novartis-devoile-sa-strategie.N271283
"Alliance entre Novartis et Google autour des lentilles connectées", Homo-Connecticus, 16 juillet 2014, http://www.homo-connecticus.com/e-sante-1956/alliance-entre-google-et-novartis-autour-des-lentilles-connectees-a31214.htm
"Japon, nouveau scandale chez Novartis, 2579 cas d'effets secondaires graves non rapportés", RTL, 1er septembre 2014,http://www.rtl.fr/actu/international/japon-nouveau-scandale-chez-novartis-2-579-cas-d-effets-secondaires-graves-non-rapportes-7774040564
Armelle Bohineust, "L'Avastin bientôt autorisé pour la DMLA en France", Le Figaro, 07 novembre 2014, http://www.lefigaro.fr/societes/2014/11/07/20005-20141107ARTFIG00006-l-avastin-bientot-autorise-pour-la-dmla-en-france.php
Fanny Rey, ''Novartis tourne la page du tout générique en Afrique'', Jeune Afrique, 05 janvier 2015, http://direct.economie.jeuneafrique.com/regions/international-panafricain/23794-novartis-tourne-la-page-du-tout-generique-en-afrique.html
Sur www.zonebourse.com - Fiche technique de Novartis AG : http://www.zonebourse.com/NOVARTIS-AG-9364983/societe/
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