Façonné en plein coeur du concile Vatican II (1962-1965), ce petit roman religieux un peu vétuste mérite notre attention, sinon notre affection. De belles petites pages tourmentées, emplies de bienveillance crispée envers une humanité contemporaine qui se déchristianise et qui perd avec la foi l'instinct de la grande morale française. Michel de Saint Pierre (1916-1987) était un écrivain de souche aristocratique et catholique. Sa plume, assez leste, est empreinte d'une élégance relativement savoureuse mais manque quelque peu de panache. Nous ne cotoyons pas ici le grand style classique, ni même le beau style; notre auteur est simplement un littérateur de bon niveau, honnête et raisonneur. C'est en effet sur le terrain des idées que le lecteur trouvera le plus sûrement son compte.
Ici, Michel de Saint Pierre est amplement au niveau. Son parti, risqué mais louable: exposer, par le biais d'une intrigue romanesque, l'état des lieux spirituel des banlieues françaises au coeur des années 60, à l'époque de la grande réforme moderniste de l'Eglise et de la pleine croissance d'après-guerre. Le tableau qu'il nous dresse, impitoyable et sans concession aucune, force notre respect. Au travers de ses analyses, couvertes par une trame fictionnelle et des dialogues apprétés, nous pénétrons de plein pied dans un univers terne et glacial, rongé par le cancer d'un matérialisme inexorable.
Ici, l'auteur surclasse l'historien de plusieurs coudées, donnant à voir, à tâter à "bout portant" l'indigence extrême d'une époque dorénavant révolue. Les plus jeunes d'entre nous n'ont pas conscience de l'état de la société d'alors: une pleine croissance économique, des moeurs qui se libéraient (bien avant le fameux mai 68, qui n'est au fond qu'un tampon officiel plaqué au bas d'une page d'histoire), de la fesse, de la radio, de la télé, mais plus de Dieu, ni de drapeau, ni de hauteur morale.
Défiant la risée générale, Michel de Saint Pierre utilise tout l'atavisme aristocratique qui lui coule dans les veines pour dire son fait à une France qui perd la boule. Nostalgique des grandes harmonies morales qui composaient le teint des familles d'antan, il nous plonge le nez dans la mélasse hédoniste, hypersexuelle du temps présent. Les années 60, antichambre du globalisme pansexuel. Voici l'un des témoins épouvantés de l'affaire. Il nous raconte comment, dès 1964, des petites adolescentes se font posséder dans les caves de ciment des grandes cités urbaines; au passage, il nous démontre que l'enfer des banlieues était déjà à l'oeuvre, avant l'arrivée massive des populations extra-européennes en France. Nous avons ici un élément historique intéressant pour nos débats polémiques actuels: non, le cancer de la violence ne s'explique pas de soi par l'immigration massive et les dérives de la politique d'intégration. Le problème est autrement plus profond.
Au travers de son roman, Michel de Saint Pierre nous présente un nouveau clergé qui ne veut plus vraiment entendre parler de Dieu, tout intéressé qu'il est par la politique, le marxisme d'époque, l'idéal de la lutte sociale prolétarienne. L'auteur dresse un réquisitoire sévère contre un clergé qui a presque jeté Jésus par-dessus bord pour complaire aux masses grises, afin de se faire accepter par elles. Une certaine Eglise, qui a cherché à s'encanailler en conspuant le bourgeois et la bigotte, en entendant le mot "pauvre" au seul sens économique. Les personnages de l'intrigue ont certes peu d'épaisseur, mais ils illustrent assez joliment les figures réelles de ce clergé des années 60, de ces laïcs chrétiens de l'époque, rongés par les acides idéologiques qui débordaient de partout.
Michel de Saint Pierre insère avec gourmandise - et un peu de maladresse - certaines grandes saillies d'auteurs spirituels classiques. Il nous sert du Thomas d'Aquin, de la Sainte Thérèse d'Avila, du Jean de la Croix avec une générosité parcimonieuse, quelque peu entêtée. A vrai dire, on sent le type qui vous déverse ses petites notes de lecture en plein roman. Le ragoût en sort quelque peu alourdi, mais c'est bénédiction pour une certaine littérature patrimoniale. Celle-ci, reconnaissons-le, a tout de même son charme, surtout de l'intérêt.
Intellectuellement, notre auteur ne se fout pas de nos petites gueules. Le type sait penser, et nous pouvons clairement tâter de la cervelle catholique. Plaisir raffiné s'il en est, ne soyons pas bégueules. Il exècre le communisme à la manière passionnelle des grands réactionnaires authentiques, mais son message va plus loin, nous restons clairement dans l'orbite de l'humanisme et de la bienveillance attentive envers l'être humain, quelles que soient ses accointances politiques émotionnelles. Michel nous avertit, au-delà de ce que peut faire un historien de l'époque; il nous avertit contre un certain usage biaisé et frauduleux du mot "paix", constamment travesti par les idéologues politiques aux arrière-pensées de système. Le trait est juste, et ici, son attaque contre le communisme et le marxisme tombe drue. Cependant, Michel ne va pas jusqu'à dénoncer ce même usage du mot paix, abusif et sophistique, au sein d'une certaine Eglise, ultra-réactionnaire.
Un peu de complaisance donc, relevons-le, chez l'auteur. Son amour passionné de la foi catholique émousse quelque peu son sens critique, et cette belle vertu aristocratique de l'équité.
Lisez donc les Nouveaux prêtres. Si l'intrigue n'est qu'un prétexte à la glose, cette même glose est tout à fait passionnante. Aussi apprendrez-vous beaucoup sur ce que fut l'état réel de l'Eglise française au coeur des années 60.
Pierre-André Bizien
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