En deux ans, le journaliste Charles Chu est parvenu à lire 400 livres, soit près de 16 par mois… S’agit-il d’une bonne moyenne ? D’un point de vue trivial, très certainement… Cependant, quid de l’aspect "digestion-assimilation" des ouvrages en question?
Lecture rapide : la tentation de la fuite en avant
De nos jours, nos emplois du temps hyper-fractionnés amenuisent nos marges d’attention culturelle. Par ailleurs, nous sommes sollicités de toutes parts à nous informer sur tous types de sujets. Nous surconsommons donc, à micro-doses, de l’offre culturelle. Il en résulte souvent comme un arrière-goût de bouillie vaguement sucrée. Le paradoxe est alors évident : malgré le temps que nous avons passé à lire et à nous informer au bout d’une semaine, d’un mois, d’une année, le bénéfice intellectuel concret nous semble minime.
Dès lors, nous voici tentés par un raisonnement séduisant : en lisant plus rapidement, nous pourrions accumuler davantage de savoir pour moins de temps sacrifié. Il s’agit d’une fausse évidence. De fait, si le problème réside dans la digestion-assimilation des connaissances rencontrées, accroître la masse de données à traiter par notre cerveau risque de compliquer l’équation, partant du fait que nous avons un souci d’impression des connaissances.
La lecture rapide n’est donc pas forcément la solution à notre frustration culturelle. En premier lieu, nous devons parvenir à tonifier notre attention ; savoir trier et hiérarchiser l’information en amont, afin d’éviter de saturer notre attention. Ce travail est donc prioritaire. Quelques techniques pratiques sont envisageables :
-S’interdire le papillonnage intellectuel en restant concentré sur ce que nous avons prédéfini de lire.
-Etablir une liste de thèmes à découvrir par la lecture en choisissant quelques titres. Lire les ouvrages ainsi sélectionnés en notant les idées importantes que nous y trouvons (si nous ne notons pas, la teneur de l’idée s’évanouira bientôt, et il ne nous restera que son goût).
-Tenter d’accélérer la lecture sur les pages et les passages insignifiants de l’ouvrage. Au contraire, renforcer son attention et ralentir le rythme dès que les passages deviennent substantiels. Toujours tenter d’en tirer une idée valable, méditer ce qui vient d’être lu pour activer le discernement et produire de la réflexion. Noter l’idée ainsi tirée.
La lecture rapide : une question de concentration
C’est une règle fondamentale : votre vitesse de lecture est corrélée à votre degré de concentration : lire vite, c’est être totalement investi sur le texte sans que la moindre parcelle de notre attention divague vers une quelconque pensée externe. Dès lors, vous n’avez pas besoin de vous arrêter deux-trois fois sur la même phrase, revenir en arrière, essayer de reprendre le fil perdu en cherchant le dernier mot survolé sur la page.
Une fois l’attention complètement focalisée sur l’ouvrage entre vos mains, essayez de "glisser" sur les phrases en lisant non plus les mots isolément, mais des groupes de mots d’un coup : faites des successions de flashs, en assimilant instantanément grâce à votre attention en alerte. Lorsqu’un passage devient vraiment substantiel, ralentissez la cadence. Puis repartez de plus belle en essayant de passer en accéléré les pauses que la ponctuation vous impose.
Autre règle importante pour une lecture rapide efficace : fixez-vous des objectifs récurrents (lire au moins 20 pages de suite, ne pas lâcher l’attention avant la fin de la page, etc). N’essayez pas de formuler mentalement les mots que vous lisez, comme si vous parliez de l’intérieur : lorsque vos yeux passent sur un mot, essayez de l’identifier avant de l’avoir totalement lu pour aller plus vite (vous glisserez plus facilement sur la fin de chaque mot).
La lecture rapide optimale est une lecture densifiée. Une lecture à rythme variable selon "la route" : essayez de visualiser un cadran de vitesse et intérieurement, demandez-vous de temps à autres si vous avez atteint la vitesse autoroute, ou si vous "roulez au pas". Pour un livre, vous avez le droit d’être un "chauffard" ; amusez-vous à ne pas trop respecter la signalisation (ponctuation, arrêts…) tout en tenant la route. L’exercice est très drôle, et assez efficace à moyen terme.
Lecture rapide : une technique à utiliser intelligemment
La lecture rapide vous permet de muscler votre attention, c’est une gymnastique très utile, mais il ne faut pas lire pour lire. La lecture rapide est un outil, et non une fin en soi. Elle vous rendra totalement con si vous la mobilisez au profit d’un seul objectif quantitatif. Focalisez-vous sur le but de la lecture, qui est l’enrichissement personnel.
Vous pourrez certes lire davantage, mais l’idée est d’en arriver le plus rapidement possible à ce qui est digne d’attention dans l’ouvrage. Voir les choses ainsi importe : autrement, vous deviendrez des glisseurs, des chauffards de la lecture, ébahis par votre propre vitesse. Vous pourrez certes lire quatre fois plus de livres, mais votre attention inchangée – ou altérée – vous fera stagner au même point d’ignorance ontologique.
Entraînez-vous pour commencer sur des prospectus ou des plaquettes publicitaires : vous pourrez ainsi avancer sans mobiliser la question de l’attention. La technique du glissage sur les mots exige beaucoup de répétition pour être maîtrisée. Il faut du temps pour que cela commence à fonctionner.
Ensuite, exercez plus particulièrement la densité de votre attention. Cela est peut-être plus délicat. Soyez intraitable envers vos envies de végéter, envers votre ennui latent. Réfléchissez avec tonus sur les idées complexes que vous lisez, afin d’accroître votre agilité d’esprit. L’idée est de réduire progressivement le temps qu’il vous faut pour assimiler ce qui est lu. Vous constaterez rapidement que votre connerie latente diminuera quelque peu.
Ce qui importe, encore une fois, c’est de bien sélectionner en amont ce que vous consentez à lire : choisir, c’est forcément exclure, et c’est justement l’incapacité intellectuelle à exclure qui vous fait végéter dans la médiocrité. Vous risquez de devenir des obèses culturels en peu de temps. C’est aussi là que vous pouvez mobiliser la métaphore culinaire : lecture inutile = junk food. Dans un ouvrage, il y a la bonne viande entourée du gras. Passez rapidement sur le gras, mais veillez à détecter les bonnes protéines. Tout ce travail est passionnant, il s’agit d’une véritable aventure.
Ps : si vous avez lu cet article en moins de deux minutes, recommencez et concentrez-vous.
Pierre-André Bizien
Lien vers l’article le plus drôle de l'année 2014.
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