Rares sont les moments d'euphorie théologique. Le 9 décembre dernier, l'association "Fils de France" nous en a offert un, et de quelle manière!
La fin de la conférence en vidéo:
http://www.youtube.com/watch?v=kYYmeZeUev8
L'abbé de Tanoüarn
Il était pour le moins audacieux de convier, devant une petite assemblée islamo-chrétienne, l'une des voix les plus cinglantes du catholicisme cocardier: l'inénarrable abbé de Tanouärn, traditionnaliste écarlate, fervent partisan de la charité nucléaire envers l'islam. Entendons-nous bien: Tanoüarn est une crème, un Goliath en robe noire, plein de prévenance et de douceur. Un clerc d'antan, épique et flamboyant. Pour autant, ne comptez pas sur lui pour la diplomatie spirituelle.
Tanoüarn, c'est l'Evangile à coup de bélier... Saint Couilles et l'auréole en bandoulière.
Il fallait donc une bonne dose de sang froid pour convier le personnage à une conférence intitulée "Catholiques, musulmans:partenaires ou adversaires?"
Les petits gars de Fils de France ont pourtant relevé le défi. C'est l'imam Tareq Oubrou qui avait été choisi pour donner la réplique au gladiateur catholique; un théologien musulman de renom, sage et pondéré, baptisé progressiste par le petit milieu médiatique. A leur côté, le père Michel Lelong, apôtre infatigable de la fraternité islamo-chrétienne.
Un débat rocambolesque
L'organisateur, Camel Bechikh, avait admirablement introduit les protagonistes, et c'est par la sagesse du père Lelong que la discussion fut engagée. Bel augure. Notre homme entreprit de lire quelques témoignages iréniques et rassembleurs, afin d'envelopper l'auditoire sous le sceau de l'amour. Aussi rappela-t-il un intéressant événement historique: la déclaration amicale du pape Grégoire VII, en 1076, à propos de l'islam: en plein Moyen Âge, le pontife affirmait alors que les croyants des deux religions adoraient le même Dieu unique, bien que de façon différente. Une manière de nous rappeler que l'esprit de Vatican II n'a pas débuté avec les sixties... Aussi nous prévint-il qu'il n'importait pas simplement de pratiquer le dialogue interreligieux, mais aussi, et surtout, le dialogue intra-confessionnel: les catholiques ouverts se devant de discuter islam avec leur coreligionnaires sceptiques, et pareillement chez les musulmans.
Rapidement, Tanoüarn changea de cap, et l'embardée fut pour le moins spectaculaire. D'emblée, il affirma la dangerosité potentielle de l'islam, mêlant au tonitruement de sa voix une sorte de sourire hébété, du plus étrange effet. Certains spectateurs sentirent alors quelques gouttes de sueur perler sur leur front. Le père faisait du border-line, fustigeant Mahomet à bout portant de l'imam. Soudain, il se met à citer un passage du coran, lequel fustige les chrétiens et appelle à les combattre. L'assemblée écoute en silence, quelque peu mal à l'aise. Tanouärn suspend alors sa lecture, arguant que la suite est "du même tonneau". Aucune réaction d'hostilité, juste un silence respectueux.
Sur ma chaise, je me délecte: comment un type peut-il avoir le front d'aller si loin devant une telle assemblée? Aussi réservé que je puisse me trouver, le culot de l'abbé m'impressionne. Aussi me dis-je que dans l'erreur ou pas, ce type a vraiment fait sien le commandement de Jésus de ne jamais transiger avec la Vérité. Il refuse de composer, d'incurver son discours, de placer le moindre guillemet. Assez impressionnant, non pas dans l'ordre de la pertinence, mais de la probité, de la franchise spirituelle.
Tanoüarn poursuit son ardent réquisitoire: le problème de l'islam, c'est qu'il revient à la violence de l'Ancien Testament, que les Evangiles avaient dépassé; le coran est un "mariage contre-nature entre violence et vérité".
D'après lui, l'islam est une religion de soumission à la loi, tandis que le christianisme nous délivre de la loi (ce à quoi Tareq Oubrou répliquera très justement que Jésus a prévenu qu'il n'était pas venu retrancher un seul iota de la loi, mais plutôt l'accomplir).
Tanoüarn, c'est la théologie au bulldozer: pas mal d'erreurs de détail pour foncer droit vers l'essentiel. Attitude dommageable. Sa crédibilité, comme à chaque fois, s'en trouve quelque peu affaiblie. Pour le panache, l'homme est brillant, portant haut la défense du christianisme. Il tourne ici admirablement le dos à ces théologiens catholiques embarrassés, plus attentifs aux bienséances mondaines qu'aux exigences polémiques qu'impose parfois la défense de leur spiritualité.
Tareq Oubrou
Lorsque Tareq Oubrou prit la parole, une tout autre atmosphère se répandit dans la salle. Climat de sagesse, beauté rhétorique. Il y avait de la porcelaine dans les propos de l'imam. Evoquant son passé rigoriste, il déclara:
J'ai évolué, heureusement, comme la Bible a évolué, comme les prophètes ont évolué"
Aussi nous gratifia-t-il d'heureux traits d'esprit:
La parole de la transcendance s'est mélangée à la poussière de notre nature argileuse"
Répliquant aux accusations de Tanouärn qui condamnait le Mahomet chef de guerre qui a conquis par l'épée, Oubrou déclare habilement, mais à tort, que si Jésus a condamné l'usage des armes (celui qui prendra l'épée périra par l'épée), c'est tout simplement parce que Jésus voyait que face aux Romains, ses disciples n'auraient pas les moyens physiques de les renverser. Oubrou induit donc ici une énormité théologique: la condamnation de la violence par Jésus ne serait pas tant un principe moral qu'une considération tactique. Tanoüarn est abasourdi, et moi aussi. Tareq Oubrou développe son raisonnement, oubliant que Jésus a aussi dit (ce qui prouve bien que son commandement était bien moral) qu'il s'agissait d'aimer jusqu'à l'ennemi et de tendre l'autre joue si on frappe la première. Dans ces circonstances, comment défendre l'idée d'une quelconque arrière-pensée tactique. Soyons sérieux: si Jésus commande de ne pas prendre l'épée, c'est dans la suite logique de ses autres paroles, qui fustigent la violence en général.
Enfin, Tareq Oubrou tente d'appuyer son raisonnement en affirmant que si Jésus a interdit de prendre l'épée, c'est parce qu'il n'a pas eu à défendre de frontière temporelles. Ce à quoi Tanouärn répondit justement: Jésus a dit que son Royaume n'est pas de ce monde.
Ensuite l'imam nous gratifia d'impressionnants raisonnements, passant, un peu cuistrement, par le biais de comparaisons scientifiques (impliquant la génétique). Péché véniel. Son discours fut impressionnant, et non dénué d'humour:
L'unicité, c'est encore plus compliqué que la Trinité"
Parfois quelques complaisances égotiques pour faire le pendant à Tanoüarn:
Il n'y a pas un Texte qui fait l'apologie de la diversité comme le coran"
Aussi, quelques saillies polémiques:
Le hallal, c'est du commercial"
Enfin, de belles paroles qui réjouirent particulièrement les chrétiens présents dans la salle:
Jésus, pour nous, il est infaillible"
Nous les musulmans, nous croyons à l'Ancien Testament et au Nouveau Testament"
Fin de conférence
Enfin, la conférence se termina par des questions du public et une conclusion générale. L'abbé insista sur le fait que pour converger, il ne suffisait pas d'être un simple croyant, mais un croyant spirituel. C'est le coeur qui sent Dieu. Enfin, de proclamer tout de go: nous pourrons fraterniser avec la radité musulmane spirituelle, celle qui véhicule la volonté de perfection.
Pierre-André Bizien
Image:
FocusdocProd, Farid Abdelkrim, Noureddine Farssi
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