Depuis des années, Tariq Ramadan passionne et divise les publics. Régulièrement accusé de double discours, il est devenu la bête noire des petits cénacles intellectuels français. Ce qui est indéniable et devrait à tout le moins être admis, c’est que l’essence de son discours n’est pas monolithique, ni basiquement fondamentaliste. Il est indéniable que monsieur Ramadan est une personnalité sulfureuse, objectivement ambiguë. Ne nous trompons pas cependant : ces deux épithètes distinguent toujours les personnalités intellectuelles de premier ordre, qu’elles soient éminemment respectables ou furieusement dérangeantes.
Suscitant vénération naïve ou convulsions de poitrinaires, Tariq Ramadan est littéralement "passionnant". Par-delà les ruses dialectiques indéniables de ses discours, reconnaissons-lui le mérite insigne d’énoncer, de dire véritablement quelque chose au milieu de notre temps. La polémique sempiternelle concernant son "double discours" est légitime, mais elle mérite de véritables analyses. Ce qui scandalise peut être le plus au fond, c’est que son discours n’est pas double : il double.
Son discours double, tout simplement : il dépasse. Il sort des limites, il subvertit, littéralement, ici encore. Comble d’ironie que cet Occident qui se choque de celà-même qu’il prétend chérir : la subversion, l’irrévérence. L’irrévérence de Ramadan, sa subversion présentent la particularité de ne pas être factices ni cosmétiques : voici le scandale, au cœur de notre civilisation-paillettes. La théologie prise au sérieux, le vertige du Mysterium Tremendum offert, pour une fois sans gants de latex.
Malgré les intentions sous-jacentes qui lui seront toujours prêtées, Tariq Ramadan a souvent eu des paroles islamiquement peu correctes, courageuses, sinon franc-tireuses. Jugeons-en sur pièce au travers de ces 18 citations, glanées au sein de ses œuvres et de ses discours :
« Il n’existe pas de fidélité sans évolution » (Mon intime conviction)
« Le débat interne reste ouvert en Israël mais inexistant dans les pays arabes » (L’islam en questions)
« L’islam n’a pas de problème avec les femmes, mais il apparaît clairement que les musulmans ont effectivement de sérieux problèmes avec elles » (Mon intime conviction)
« L’univers de l’art est un univers de questions plus que de réponses, et il convient de ne pas le réduire à un véhicule de réponses religieuses » (Islam, la réforme radicale)
« L’art dit la question, la foi dit la réponse » (Islam, la réforme radicale)
« Je ne vois pas pourquoi on devrait accepter la victimisation du peuple palestinien ni pourquoi il serait condamné à se faire tuer en n’utilisant que des pierres pour se défendre » (L’islam en questions)
« Mon opinion est que l’on peut changer de religion selon la tradition musulmane » (On n’est pas couchés, France 2)
« Il est urgent de cesser de blâmer « la-société-qui-ne-nous-aime-pas », « l’islamophobie », ou encore le « racisme », et de justifier ainsi une passivité coupable » (Mon intime conviction)
« Dans le cas de la résistance palestinienne, je pense qu’on peut légitimement s’en prendre à l’armée adverse et aux colons qui sont pratiquement tous armés » (L’islam en questions)
« Les sociétés majoritairement musulmanes sont le plus souvent à la traîne sur le plan économique, elles ne présentent la plupart du temps aucune garantie démocratique, et quand elles sont riches, elles ne contribuent à aucun progrès intellectuel » (Mon intime conviction)
« Le mécanisme utilisé par les extrémistes est simple : c’est la position victimaire. Ils disent à leurs recrues : « Vous êtes des victimes » (Le Point, 29/03/2012)
« Le concept de jihad n’a rien à voir avec la guerre sainte » (L’islam en questions)
« La première attitude des migrants est bien sûr de se recroqueviller sur leur religion, leur culture (…). Ils s’accrochent aux modes de vie de leur pays d’origine en confondant souvent religion, culture et traditions » (Mon intime conviction)
« Il est autorisé et légitime, sur la base des références musulmanes, de changer de religion » (L’islam en questions)
« La polygamie [n’est] absolument pas applicable dans le monde contemporain » (Salut les Terriens, CANAL+)
« La tradition (…) se définit bien moins en relation avec les sources et les racines du passé (ce à quoi on la réduit en l’opposant caricaturalement à la modernité) que par les moyens qu’elle se donne pour rester fidèle aux finalités dans son avenir » (Islam, la réforme radicale)
« Il s’agit de se départir des habitudes culturelles de ses parents, (…) et de faire siens les éléments positifs des cultures occidentales » (Mon intime conviction)
« S’exclamer : « C’est l’ordre de Dieu ! Cela ne se discute pas ! C’est saint ! C’est sacré ! » ne correspond à rien » (L’islam en questions)
Pierre-André Bizien
à lire aussi
Les intégristes catholiques sont-ils fréquentables
La réputation exécrable de la Fraternité Saint Pie X et des intégristes catholiques est-elle justifiée? Globalement, oui. (Pierre-André Bizien)
Les cardinaux africains
Un pape africain, noir comme la laque. Beaucoup d’entre nous l’ont fébrilement pétri, ce rêve audacieux. Les catholiques français, tout particulièrement. Jusqu’aux derniers instants du conclave de cette année 2013, les consciences...
L'Eglise face au mystère de la sexualité - entretien avec Antoine Pasquier (Famille Chrétienne)
Entretien avec le journaliste Antoine Pasquier - le rapport de l'Eglise à la sexualité
Mohammed Arkoun, apôtre de la critique scientifique de l'islam
Mohammed Arkoun, grand universitaire Français d'origine kabyle, aura longtemps divisé. Promoteur de l'islamologie appliquée, il est le prophète d'une critique scientifique du coran et de l'islam.
Vous aimerez aussi
Racisme anti-asiatique - entretien avec le rappeur Lee Djane
Le racisme anti-asiatique en France: une réalité qui rencontre l'indifférence. Les mouvements antiracistes en retard
Voltaire, la religion et Dieu. Le philosophe était-il athée ?
Le rapport du grand Voltaire à Dieu et à la religion est plus complexe qu' il n' y paraît. Il serait peut-être temps de dépasser la vulgate traditionnelle.
Louis-Georges Tin (CRAN) reconnaît l'existence du racisme anti-blanc en France
Louis Georges Tin reconnaît l'existence du racisme anti-blanc sur LCI
Cornelius Castoriadis, penseur du social, pourfendeur du religieux
Grand théoricien de gauche, pour le moins non conformiste, Cornelius Castoriadis semble dorénavant oublié des mémoires. Retour sur quelques acidités de son oeuvre