On se souvient des diverses affaires qui ont scandé l’actualité de ces dernières années : caricatures de Mahomet parues dans Charlie Hebdo, scandale du Piss Christ, celui du film anti-islam posté sur internet, la pièce Golgota picnic…
Parallèlement, nous assistons à l’émergence inquiétante de propositions de lois anti-blasphème au sein-même des démocraties occidentales, ainsi qu’à la réapparition de la haine anti-religieuse (mouvement des Femen)…
De part et d’autre du spectre politico-passionnel, l’opinion publique se déchire à coups d’arguments fallacieux. Puérilement, on se réfère aux grands principes démocratiques qui servent nos pulsions tout en taisant ceux qui nous gênent ; ainsi, systématiquement, le partisan de la caricature anti-religieuse invoquera la règle sacrée (!!) de la liberté d’expression, tandis que le censeur moraliste se réfèrera aux lois anti-discrimination, au respect dû à la culture de chacun.
Chaque camp, donc, enrôle la législation démocratique en sa faveur, tout en l’amputant subrepticement. Les adversaires idéologiques se retrouvent dès lors facticement dans l’exigence du respect de la légalité juridique, et de fait, c’est à chaque fois l’inclination idéologique du juge qui tranche. Derrière ce scandale d’hypocrisie généralisée, nous percevons un mal autrement plus inquiétant : l’instrumentalisation sectaire et corporatiste des grands principes de la Nation, et donc, par extension fatale, corruption idéologique caractérisée.
Une solution radicale à ce néant existe pourtant, et elle ne risque pas de plaire aux partisans de la société post-confessionnelle…
Expliquons-nous :
prenons enfin au mot le Droit, tout le Droit, et, plutôt que de réguler, conditionner le droit à la caricature, étendons-le tout simplement. Etendons sereinement aux religions le privilège démocratique que l’on réserve aux laïcards: celui de caricaturer impunément l’adversaire idéologique, afin d’énoncer une vérité profonde par le biais du rire et de la simplicité. En un mot acceptons, comme nous aurions dû le faire depuis des décennies, que les religions elles aussi puissent railler lestement les patates chaudes de la société civile (sexualité, homosexualité, absence de valeurs…).
Que le camp laïque ait enfin la largesse (que l’on exige pourtant chaque matin des Eglises) d’accepter d’être chahuté, bousculé par le croyant, le religieux, sans crier à l’extrémisme et au scandale. On mesure combien ce minimum élémentaire aurait de mal à être accepté par le parti autoproclamé de la liberté d’insolence.
Dans les faits, les laïques ont privatisé cette fameuse liberté d'insolence en en faisant une prérogative à sens unique: quotidiennement, dès qu’une personnalité religieuse tente un mot d’humour ou un petit discours provocateur vis-à-vis de la société civile, il est immédiatement accusé de l’extrémisme le plus rance (cf. les foucades sympathiques du cardinal André Vingt-Trois, celles du cardinal Barbarin).
Nous devons tout simplement opérer une révolution mentale : accepter contractuellement des deux "partis" le droit mutuel à l’insolence et à la tranquillité afférente.
Plutôt que de limiter, d’aménager la liberté d’expression afin de complaire aux susceptibilités cléricales, acceptons tout simplement de l’étendre et de la rendre enfin paritaire. Dès lors, c'est le conservatisme du camp des anti-religieux qui risque de freiner des quatre fers devant une telle perpective… et pour cause: des chrétiens, des musulmans qui pourraient en toute tranquillité moquer les dérives de l'idéologie des sans-dieu dans la presse… quel scandale, ma bonne dame !
Pierre-André Bizien
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