Les dessous de la conquête spatiale chinoise

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Un rêve ancien

« La Chine n'est même pas capable d'envoyer une patate dans l'espace ». Naguère prononcé par Mao Zedong avec amertume, ce constat fait partie d'une époque depuis longtemps révolue. En effet, lancé pendant la Guerre froide avec l'aide des Soviétiques, le programme spatial chinois devait permettre le développement de missiles balistiques ainsi que la mise en orbite de satellites militaires.

Pourtant, dès le début des années 1970, face au succès des premiers vols habités menés par les Russes et les Américains, les autorités chinoises souhaitaient envoyer à leur tour des hommes dans l'espace. Cependant, la combinaison de difficultés techniques et des troubles politiques liés à la Révolution culturelle puis à la mort de Mao vont provisoirement mettre un terme à ce projet.

En 1978, l'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping et la mise en œuvre de sa politique de réformes  vont bouleverser l'organisation de l'industrie spatiale chinoise. Les applications commerciales du programme spatial sont privilégiées au détriment de l'organisation de vols habités. C'est ainsi qu'à partir de 1984, la mise au point du lanceur Chang Zheng 3 permet à la Chine de développer ses  activités commerciales liées à l'espace. En 30 ans, environ soixante-dix lancements ont été effectués par ce lanceur.

Pourtant, l'Empire du Milieu n'a pas renoncé à son ambition d'envoyer des hommes dans l'espace. En 1986, le projet 863-204 prévoit le développement d'un vaisseau de transport et la construction d'une station spatiale. Abandonné au profit du projet 921, mené en coopération avec les Russes, le programme de vols habités prend une nouvelle orientation sous l'impulsion de Jiang Zemin. En effet, l'effondrement de l'URSS et les difficultés financières de la Russie favorisent l'acquisition de technologies soviétiques par la Chine. En outre, les équipages chinois obtiennent la possibilité d'être entraînés près de Moscou dans les installations de la Cité des Étoiles. Grâce à ce partenariat, la Chine populaire met en orbite, dès 1999 le prototype de la capsule Shenzhou.

C'est ce vaisseau spatial qui a permis à Yang Liwei de devenir le 15 octobre 2003, le premier taïkonaute. Dès lors, comme l'atteste le lancement de la mission Shenzhou 10, le 11 juin 2013, la Chine populaire poursuit avec succès l'organisation de vols habités. Elle ambitionne ainsi de concrétiser son projet de station orbitale et de préparer à l'horizon des années 2025/2030 sa première expédition lunaire.

Néanmoins, alors que les progrès de la robotisation posent la question des limites de l'envoi des êtres humains dans l'espace, le programme Shenzhou ne recèle-t-il pas une stratégie plus complexe qu'une politique de prestige héritée de la Guerre froide ?


Une démonstration de « l'émergence pacifique » de la Chine

Depuis la réalisation de la mission Vostok I en avril 1961, la Russie, les États-Unis et la Chine sont les seuls pays qui ont envoyé par leurs propres moyens des hommes dans l'espace. Les pays maîtrisant les techniques des vols spatiaux habités constituent donc un club très fermé.
Malgré une technologie moins avancée que celle développée par le Japon ou par l'Agence spatiale européenne, la Chine démontre malgré tout sa capacité à mettre en œuvre un programme complexe de vols accomplis par des équipages. De ce fait, elle accède symboliquement au même rang que les superpuissances de la Guerre froide même si ce programme spatial constitue un des éléments clefs d'une stratégie beaucoup plus vaste : « l'émergence pacifique ».
Très présent dans les discours des dirigeants chinois, l'expression « émergence pacifique », affirme de façon décomplexée mais sous un visage qui se veut rassurant, les rêves de puissance de l'Empire du milieu. Ainsi, la stratégie spatiale chinoise est un des piliers de cette doctrine qui s'apparente au soft power étasunien. Le concept « d'émergence pacifique » ne se cantonne pas au domaine de la diplomatie traditionnelle. Il recouvre des aspects politiques, économiques, industriels, militaires et culturels qui fonctionnent en synergie afin de permettre à la Chine de se voir reconnaître ses prétentions au rang de grande puissance.

La politique spatiale chinoise constitue donc un des moyens de parvenir à ce but. Ainsi, les images des capsules Shenzhou et des taïkonautes accomplissant leurs missions sont censées forger une vision positive de la Chine et de son savoir-faire à l'étranger. Dès lors, le made in China, ou du moins la représentation qu'en ont certains occidentaux, ne serait plus un synonyme de produits de mauvaise qualité. Ce fait a une grande importance à un moment où l'Empire du milieu développe son industrie aéronautique. Un projet tel que le COMAC 919, est censé concurrencer à court terme Boeing et EADS sur le secteur des avions moyens-courriers. De ce fait, lorsque sa phase de développement sera achevé, le COMAC 919 constituera une alternative sérieuse à l'achat du Boeing 737 ou des Airbus A320 et A321.
Ce constat dans le domaine de l'aviation civile s'applique également en ce qui concerne les ventes de matériels militaires. Depuis quelques années, la Chine pratique dans ce domaine une politique d'exportation intensive. Ainsi, les récents progrès enregistrés par ce pays dans le domaine de l'aéronautique militaire peuvent lui ouvrir les marchés d'États aux moyens financiers limités.  En 2006, le Pakistan a ainsi commandé auprès de la Chine près de 36 avions de chasse Chengdu J-10. Depuis, les deux pays ont engagé une politique de coopération à propos du développement d'un avion de combat multirôle de troisième génération, le Chengdu FC-1 Xiaolong également appelé JF 17 Thunder.

Toutefois, les intérêts économiques et industriels induits par la stratégie spatiale de la Chine ne cantonnent pas aux secteurs de l'aéronautique et de l'aérospatiale. En effet, la conquête spatiale chinoise a aussi des répercussions dans plusieurs domaines qui relèvent des hautes technologies.
Ainsi, cette stratégie stimule la recherche et l'innovation dans des secteurs aussi variés que les télécommunications, l'énergie, les matériaux composites ou encore des biotechnologies. Par exemple, l'Empire du milieu est actuellement un des plus grands producteurs d'organismes génétiquement modifiés dans le monde. Alors que les multinationales étrangères comme Monsanto sont exclus de son marché intérieur, la réalisation d'expériences scientifiques en apesanteur doit lui permettre de progresser dans l'élaboration des semences OGM ou de thérapies géniques. À terme, la Chine envisage non seulement d'apporter une réponse durable à ses besoins alimentaires et sanitaires, mais elle a aussi pour objectif de concurrencer les firmes occidentales dans le domaine des biotechnologies. 

La mise en service d'une station orbitale répond donc au besoin des Chinois de mener de façon indépendante des expériences qui auront sur le long terme des répercussions économiques importantes. La conquête de l'espace par la Chine est donc intégrée à une stratégie de développement qui doit permettre à ce pays d'être non plus le simple « atelier du monde » mais un des pivots de l'économie de la connaissance. 


Un programme qui participe à la modernisation de la dissuasion nucléaire

Si la politique spatiale de la Chine doit favoriser la construction de son image de puissance pacifique, cette stratégie n'est pourtant pas exempte de finalités militaires. En effet, à l'origine la stratégie spatiale chinoise était liée à la conception et l'amélioration des missiles balistiques. Ainsi, lors de la Guerre froide, ce programme a joué un rôle important dans la naissance de la dissuasion nucléaire chinoise et l'accès de la Chine populaire au Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Pourtant, alors que la fin de la Guerre froide semblait ouvrir la voie vers un désarmement nucléaire partiel, par le biais des accords SALT et START certaines puissances, à l'instar des États-Unis ou de la France ont néanmoins choisies de moderniser leurs arsenaux nucléaires. En effet, ces États justifiaient cette politique en raison du risque de dispersion des ogives détenues par l'ex Armée Rouge. Par ailleurs, la prolifération de programmes nucléaires dans des pays tel que le Pakistan, l'Iran ou la Corée du Nord suscitait également leur inquiétude. En outre, à partir de 2002, la volonté de l'administration Bush de mettre au point un « bouclier anti-missiles » achevait de mettre au défi la Chine de moderniser sa force de frappe nucléaire.

Bien que la Chine possédait depuis 1981, un nombre limité de missiles intercontinentaux (ICBM), capables de frapper le sol américain, leur technologie, sur le point d'être dépassée, imposait à l'Empire du milieu de faire face à cette vulnérabilité. Ainsi, à l'instar des autres grandes puissances nucléaires, les Chinois ont porté leurs efforts sur l'amélioration de la portée de leurs missiles mais aussi sur la miniaturisation des ogives. De ce fait, ce pays s'est engagé dans la conception de missiles nucléaires à têtes multiples (MIRV) mais aussi d'engins qui sont capables de modifier leur trajectoire en vol afin d'être moins vulnérables à l'interception (MARV). 
Enfin, depuis 2007 l'Empire du milieu s'est récemment distingué pour avoir mis au point des systèmes anti-satellites (ASAT).

À l'heure actuelle, des experts américains estiment que la Chine possèdent environ 600 têtes nucléaires alors qu'en 2006 ce stock était évalué à 200 dont 145 actives. Si l'absence de chiffres officiel rend difficile la vérification de cette prolifération quantitative, la modernisation des vecteurs de ces armes est en revanche une réalité. Mis en service dans les années 1980, le missile Dong Feng 5A, qui a une portée de 13000 kilomètres est resté longtemps le seul missile balistique chinois capable de frapper les États-Unis. Cependant en 2007, l'entrée en service du Dong Feng 31A, dont la portée est un peu moins importante (11200 kilomètres) que celle du DF-5A, constitue pourtant une rupture qualitative pour la dissuasion nucléaire chinoise. Effectivement, ce missile peut être équipé d'une ogive de 2.5 mégatonnes ou de trois à quatre têtes nucléaires de 90 kilotonnes. En outre, à l'instar des missiles intercontinentaux russes, le DF-31A posséderait des capacités d'aide à la pénétration sous la forme de leurres et de contre-mesures.


En sus du DF-31A, la Chine a aussi entrepris le développement du Dong Feng 41. Lancé depuis une plate-forme mobile tout comme le DF-31 A, ce missile intercontinental qui une portée comprise entre 12000 et 14000 kilomètres, peut emporter jusqu'à dix têtes nucléaires. Une fois déployée, ces ogives seraient capables de cibler chacune un objectif différent. Destiné à remplacer  les Dong Feng 5, ce missile est probablement équipé de leurres et de contre-mesures. Si son entrée en service n'a pas encore été reconnue par la Chine en raison de la poursuite de tests, à terme cette arme serait en mesure de mettre à mal le projet de défense anti-missiles développé par les États-Unis. Tout comme les éléments de la dissuasion nucléaire basés au sol, la composante stratégique navale chinoise fait aussi l'objet d'une politique de modernisation. Destiné à être lancé par des sous-marins de la classe Jin, le missile Ju Lang 2 aurait une portée comprise entre 8000 et 14000 kilomètres selon ses versions (JL-2, JL-2 Jia, JL-2 Yin). Par ailleurs, à l'instar du DF-41, les différentes versions de ce missile peuvent être équipées de MIRV et comprendraient des dispositifs de contre-mesures.

Somme toute, le développement de systèmes anti-satellites par la Chine est lié à ces efforts de modernisation des vecteurs de l'arme nucléaire. En effet, après un premier test médiatisé de ce type d'arme en 2007, la Chine a procédé au développement du missile Dong Neng 2, une arme capable de détruire les satellites situés en orbite géosynchrone, à 36000 kilomètres de la Terre. Dans le cadre d'un conflit, ce missile conférerait à l'Empire du milieu la capacité d'aveugler ses adversaires  et d'interrompre leurs communications ainsi que leurs systèmes de géolocalisation. Plus qu'une arme défensive, ce système ASAT est doté d'un fort potentiel de désorganisation. Effectivement, la destruction simultanée de plusieurs satellites perturberait durablement les communications d'un ou plusieurs pays mais aurait aussi des répercussions économiques majeures. Ces systèmes ASAT constituent donc un nouveau genre de dissuasion qui exploite les vulnérabilités induites par la généralisation de l'usage des technologies de l'information.

  La stratégie spatiale actuelle de la Chine est donc à la fois un moteur et une conséquence de la modernisation de son arsenal nucléaire. En effet, il existe une synergie entre le développement du programme spatial habité de la Chine et les projets d'élaboration de nouveaux missiles balistiques. Ainsi, la nature duale des technologies issues de la conception de lanceurs capables d'atteindre  l'espace extra-atmosphérique est donc utilisée tant à des fins civiles que militaires. Si les autorités chinoises insistent sur le caractère pacifique de leur conquête spatiale, force est de constater que l'Empire du milieu n'entend pas se laisser distancer par les États-Unis et les autres puissances en ce qui concerne l'efficacité de sa dissuasion nucléaire. Mieux encore, par le biais d'une stratégie habile, la Chine développe de nouveaux systèmes d'armes dont les effets psychologiques sont suffisamment importants pour en faire des armes de dissuasion efficaces.   


Une stratégie au service d'un objectif de cohésion nationale

La politique spatiale de la Chine n'a pas uniquement des visées économiques, industrielles et militaires. Ce programme est aussi mis au service d'un objectif d'unité nationale. En effet, si la Chine est l'un des plus vieux États du monde, son histoire a été traversée à plusieurs reprises par des phases de dissensions comme l'illustre la persistance du conflit qui l'oppose à Taïwan. Officiellement, la Chine populaire est un État-nation composé de cinquante-six « nationalités ». Ce terme de nationalité définit des groupes qui possèdent une identité ethnique et/ou culturelle spécifique qui est reconnue par la Constitution chinoise. Cependant, l'ethnie Han est largement majoritaire au sein de ce pays avec un effectif qui représente environ 92 % du total de la population chinoise. En 2008, les cinquante-cinq autres nationalités représentaient près de 115 millions d'habitants. Si ces chiffres paraissent dérisoires au regard de l'importance des Han, ces minorités occupent pourtant près de cinq huitièmes du territoire chinois. Alors que les Han se concentrent sur les façade littorales du pays, très peuplées et industrialisées, les minorités ethniques sont quant à elles réparties essentiellement dans les provinces occidentales. Ces minorités sont donc situées dans les périphéries géographiques et économiques de la Chine.

Malgré la reconnaissance de droits particuliers, telle que la possibilité « de développer leur propre langue parlée et écrite ainsi que de préserver ou réformer leurs propres us et coutumes » (Constitution de la République populaire de Chine, Art. 4) certaines minorités se sentent marginalisées. Si le cas du Tibet est le plus médiatisé en Occident, les musulmans Ouïghours présents dans la province du Xinjiang ont aussi le sentiment d'être dominés par les Han. Ces impressions d'exclusion n'ont cessé de gagner en importance avec la spectaculaire croissance économique que connaît la Chine depuis les années 1990. En effet, l'écart de développement entre les provinces littorales du pays et les marges du pays s'est considérablement creusé. Par ailleurs, afin de renforcer le contrôle et l'exploitation des confins de son territoire, Pékin a favorisé la migration des Han dans les provinces périphériques. Ces migrations ont bouleversé les équilibres démographiques et sociaux de ces régions, ce qui a eu pour effet de marginaliser les minorités au sein de leurs territoires. De là, résultent des tensions qui sont aggravées par des inégalités sociales et des incompréhensions d'ordre culturel comme l'attestent les émeutes qui se sont déroulées à Lhassa en mars 2008 ou à Ümrüqi en juillet 2009.

Dans ce contexte, la stratégie spatiale de la Chine apparaît comme un moyen parmi d'autres, de susciter le patriotisme des citoyens chinois et en particulier des Han. Face aux velléités séparatistes de certaines communautés, l'éloge des succès technologiques de l'Empire du milieu apparaît autant comme un appel à l'unité que comme une démonstration de la puissance de l'État.
Bien qu'en théorie le souci de renforcer la cohésion nationale est le fait de la politique de la « société harmonieuse » initiée à partir de 2007, les seuls effets de la croissance économique et de la satisfaction du bien-être matériel de la population sont trop limités pour transcender les clivages internes. En effet, au sein même du groupe Han, les effets négatifs des réformes économiques provoquent des contestations en ce qui concerne le montant des salaires octroyés et la pénibilité des conditions de travail. De plus, aux yeux des masses populaires, l'attractivité de la Chine pour les firmes transnationales profite à une minorité d'entrepreneurs liés aux intérêts économiques et financiers de certains responsables du PCC.

Comme l'atteste le traitement informationnel des missions Shenzhou, la médiatisation des succès de la conquête spatiale mobilise des éléments présents dans l'imaginaire collectif des Chinois. Plus qu'un éloge des progrès techniques réalisés par la Chine, cette couverture médiatique repose sur une stratégie informationnelle bien définie. Effectivement, les différents éléments de ce programme font références à des aspects de la culture ancestrale de la Chine. Ainsi, sous l'époque impériale, ce pays était souvent appelé « l'Empire sous le Ciel » (tiān xià ; 天下) alors que l'Empereur, en raison du mandat divin qu'il revendiquait, était surnommé le « Fils du Ciel » (tiān zĭ ; 天子). Ce champ sémantique relatif à la sphère céleste est omniprésent dans le programme spatial chinois. Par exemple, le mot Shenzhou (shénzhōu ; 神舟) signifie en français « vaisseau divin » alors que la première station orbitale chinoise est assimilée à un « palais céleste » (tiāngōng ; 天宫). Enfin alors que le nom des fusées Chang Zheng 2-F (Chángzhēng xìliè yùnzài huǒjiàn ; 長征系列運載火箭) se réfère à la « Longue Marche » un épisode historique majeur de la guerre civile chinoise, l'ex président Jiang Zemin a portant surnommé ce lanceur, la « flèche divine » (shénjiàn ; 神剑) après l'organisation de la mission Shenzhou 3 en 2002.

L'utilisation de ces références mythologiques et religieuses par la Chine populaire peut surprendre alors que ce pays reste officiellement gouverné par un régime de type communiste. À vrai dire, ces invocations de la dimension céleste répondent à un objectif de mobilisation de références identitaires à des fins unitaires. En, effet, ces notions rappellent non seulement la maîtrise  d'un savoir millénaire en matière d'astronomie mais traduisent aussi la persistance, au sein du peuple chinois, de la croyance en l'existence de forces qui régissent la destinée des hommes. Les autorités chinoises instrumentalisent donc les représentations forgées autour du concept de « mandat du ciel » (天命 ; tiānmìng) pour justifier leurs entreprises dans la mise œuvre d'un domaine fondamental de « l'émergence pacifique ». Ainsi, le programme spatial chinois fait l'objet d'une subtile stratégie informationnelle qui utilise certaines références culturelles à travers un double langage.


Un projet qui répond à une volonté globale de puissance

  La stratégie spatiale de la Chine recouvre donc plusieurs dimensions. Au-delà de la performance technique, le développement des savoirs-faire chinois dans le domaine de l'astronautique répond à des objectifs industriels et économiques. En effet, du fait de sa médiatisation à l'échelle du monde, le programme Shenzhou apparaît comme le meilleur moyen de promouvoir la qualité des produits des industries aéronautique et aérospatiale chinoises, à l'instar de l'avion de ligne COMAC 919. En outre, les efforts consentis en matière de recherche et développement dans le cadre du projet Shenzhou ont un impact qui dépasse le cadre du secteur de l'astronautique.

Ainsi, nous avons vu que les domaines des biotechnologies, de l'énergie ou encore des matériaux composites sont impactés par ce programme spatial. Bien que les dimensions économiques fassent parties de la politique spatiale de l'Empire du milieu, ce projet entre aussi en synergie avec la modernisation de l'arsenal nucléaire chinois. En réalité, la technologie des lanceurs extra-atmosphériques du programme Shenzhou a été développée de façon concomitante à la mise au point de nouveaux missiles intercontinentaux. L'expérience acquise par les Chinois dans la conception des fusées a donc une dimension duale qui est destinée à concrétiser les desseins de la Chine en ce qui concerne l'accès et la maîtrise de l'espace. Enfin, la médiatisation des succès de la Chine en matière de vols habités apparaît comme un  instrument politique destiné à surmonter les dissensions qui menacent l'intégrité du pays.

En ce sens, le patriotisme véhiculé par la stratégie informationnelle sous-jacente au projet Shenzhou est mis au service d'un objectif de cohésion nationale. Pourtant au delà de la théâtralisation de ces succès spatiaux, la maîtrise dont fait preuve la Chine dans la conduite de son programme de vols habités contraste avec l'inaction des Européens et l'affaiblissement des États-Unis. En effet, le retrait précipité de la navette spatiale sans solution immédiate de rechange a créé une situation de dépendance inédite des Américains vis-à-vis des Russes. De plus, les contraintes budgétaires qui touchent la NASA ont provoqué  l'abandon du programme Constellation qui prévoyait le retour des astronautes américains sur la Lune. Dans ces conditions, le leadership acquis par la Chine dans l'élaboration d'un projet de missions lunaires habitées reflète l'importance que joue ce pays dans la redéfinition des équilibres géostratégiques de l'espace.


Alexandre Depont
                  
                                         

 

 


 

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