La SF est priée d’aller se rhabiller… La ville la plus peuplée du monde (quelques 37 millions d’habitants) défie les bornes de notre univers sensoriel commun, je puis en témoigner. Plongeons dans l’univers futuriste de la capitale nippone. Stupeur et sensations désaxantes en perspective…
Mon premier choc, ce fut le métro. En arrivant dans le centre depuis l’aéroport, je me suis subitement retrouvé au cœur d’une station vaste comme dix fois châtelet-les-halles. Le nom de cette fourmilière géante ? Shinjuku ! Spectacle ubuesque devant mes rétines pétrifiées : un ballet incessant de « cadres dynamiques », vêtus comme des clones, qui transitent en tous sens. Comme une impression abrutissante de contempler une vidéo en boucle ; des quidams pressés évoluant au pas de course, en costume noir pour les hommes, tailleur sombre et impeccable chez les femmes. Si l’uniformité était une discipline olympique, les tokyoïtes décrocheraient certainement une place sur le podium. Revenons à notre parcours du combattant. Panneaux et indications à profusion… Publicités en pagaille. Un torrent humain ininterrompu, et les digues de l’entendement submergées… Pour se repérer, deux solutions : soit disposer d’un œil de lynx, soit avoir un bon guide. Dans mon cas, ni l’un ni l’autre, évidemment… avec en prime, la barrière de la langue. Help, please HELP, French dude in trouble !!!
Après un tel premier contact, nous voici bien plongé dans le bain… cul par-dessus tête. Entre perte de repères et ébahissement, on pressent déjà qu’on ne sera pas « déçu du voyage ».
Sortons à l’air libre. Nouvelle surprise : Dans Tokyo, les rues n’ont pas de noms, c’est comme ça ma bonne dame. Je peux vous assurer que cette petite cocasserie m’a donné quelques sueurs froides. Pas découragé pour un yen, je sens confusément que je ne suis pas au bout de mes surprises.
En quête d’un logement, je déambule en tâtonnant dans la gigalopole. Enfin, j’aperçois mon hôtel au détour d’une « petite rue » (une vingtaine d’immeubles de 60 mètres s’y font face). Soyons précis : je me retrouve claquemuré dans un « Capsules Hôtel ». Spécialité furieusement japonaise, qui porte un peu trop bien son nom. Des chambres à taille humaine, littéralement parlant : à peu près deux mètres de longueur sur un mètre de largeur… et un mètre de hauteur ! Des couloirs sans fin abritant des dizaines et des dizaines de capsules ; établies côte à côte, elles sont superposées en rangées de deux ou trois. Morgue ? Monastère futuriste ? Non, hôtel, tout simplement. Lendemain matin. Pas de torticolis, pas de fourmis dans les jambes… juste un « léger » mal de dos qui disparaitra avec l’accoutumance. Soit, messieurs, je ne recommande pas ce type d’habitation pour une Lune de miel ; mais c’est parfait pour un court séjour, ou pour une acclimatation au dernier d’entre eux. Les clients sont dans leur écrasante majorité des hommes d’affaires ayant raté le dernier métro. Ah oui, pour info… seuls les messieurs sont autorisés à y dormir. Cependant, notons qu’il existe depuis peu des « capsules hôtels » exclusivement réservés aux dames.
Tokyo, désolé pour le cliché, c’est un mélange de modernité et de traditions. Aussi bien architecturalement, culturellement, qu’au niveau vestimentaire. Des citadins enrobés dans des kimonos de fortune côtoient des businessmen parés de leurs plus chics smokings, et croisent des jeunes « déguisés » en héros de mangas (surtout près de la station Harajuku)… ceci en toute banalité. Du côté du bâti, des temples bouddhistes multi-centenaires tutoient les plus récents grattes ciels de verre et d’acier. La démesure est bien une marque de fabrique tokyoïte ; par ailleurs, le quartier de Shibuya est sans conteste le plus grand carrefour au monde. On y assiste à un spectacle époustouflant, qui se répète en continu : dès que le feu passe au rouge pour les automobilistes, des fournées dantesques de piétons s’élancent sur les passages cloutés, avançant robotiquement droit devant. Ici, les foules sont raisonnées, disciplinées, comme des sortes d’entités méta-collectives. A vrai dire, notre ADN français ne peut sortir indemne d’un tel spectacle.
En continuant la visite, j’ai cru avoir une hallucination en apercevant… la Tour Eiffel ! Non, je ne rêvais pas. Tokyo possède sa propre Tour Eiffel, qui fait partie des monuments incontournables. Allons… Il faudrait tout de même en convenir : il s’agit d’une mauvaise copie de la nôtre. Elle est principalement rouge et, crânement, dépasse de 7 mètres l’originale. Je me suis un bref instant cru à Paris, mais un petit tour aux WC m’a rappelé que j’étais bien à l’autre bout du monde. Croiriez-vous, une fois la tâche accomplie, que l’on puisse activer un petit jet pour se nettoyer une certaine partie corporelle ? Eh bien oui, mesdames et messieurs, les japonais y ont pensé.
Tokyo dispose d’un atout hors normes : ses habitants. A titre personnel, je pense qu’on peut difficilement faire plus honnête qu’eux. Je l’ai expérimenté, constaté, vérifié : un soir à mon hôtel, en allant aux douches communes, j’oublie ma montre aux vestiaires, sur un banc. Certes, il ne s’agissait pas d’une Rolex, mais tout de même ; en revenant trois heures plus tard, je la retrouve sur le banc, exactement à la même place. Malgré le nombre important de clients qui s’étaient succédé dans les vestiaires entre temps, la montre était restée tranquillement à sa place. Dans tout autre pays, il n’aurait pas fallu 5 minutes avant qu’elle ne soit kidnappée. Les Japonais sont ainsi.
Hormis leur intégrité légendaire, ils sont également extrêmement polis. Constamment. Partout. Que ce soit dans les transports en commun (où le téléphone portable est proscrit), dans la rue, dans les commerces. C’est drôlement agréable et plaisant. La qualité de service s’en trouve renforcée, on frise les cimes de l’exceptionnel. Pas vraiment de problème de civisme là-bas, les gens sont tellement courtois ; trop, peut-être, à l’occasion. Les nippons ne s’expriment apparemment presque jamais par le biais de la forme négative. Plutôt que de dire : « Je ne peux pas », ils préfèreront déclarer : « Il semble difficile de pouvoir le faire ». A force de politesses exacerbées, on s’interroge parfois sur le fond véritable de leurs pensées. Quoiqu’il en soit, les japonais sont décidément un peuple à part.
D’autre part, j’ai aussi pu observer de nouveaux phénomènes de société, pour le moins insolites : ce qui marche fort en ce moment à Tokyo, c’est de louer un ami ! Une pratique qui a pris beaucoup d’ampleur ces dernières années. Malheureusement, je n’ai pas le budget pour… c’est tout de même l’équivalent de 300 euros la soirée. Pourquoi un tel phénomène ? A vrai dire, il est socialement très mal vu de sortir seul.
Autre nouveauté surprenante, qui renforce la singularité des mœurs tokyoïtes… Elle concerne la sexualité. On connaissait déjà les « Love Hôtels » où, entre autres, se retrouvent les amants de passage. Désormais, la grande nouveauté, c’est la manière dont les femmes auraient, dit-ont, pris le pouvoir sexuel. On les surnomme les « carnivores », en opposition aux hommes, les « herbivores ». Il semblerait dorénavant que ce soit elles qui tirent le fil dans les relations amoureuses ; et selon les dires, elles seraient autrement plus « consommatrices » que ces messieurs.
Dans un tout autre registre, une épée de Damoclès plane au-dessus de la tête de Tokyo. En effet, la capitale nippone est toujours en proie aux séismes. Désormais, la ville redoute encore plus les ravages d’une catastrophe nucléaire (comme à Fukushima), conséquence indirecte du premier danger. Nous vient à l’esprit la catastrophe de mars 2011 ; quelques 15000 morts, principalement dans le Nord-est du Japon. La mégalopole la plus vaste de la planète serait-elle finalement un colosse aux pieds d’argile ?
Terminons tout de même sur une note positive. Si vous souhaitez déguster des sushis d’exception, une adresse s’impose. Le lieu est plutôt insolite (dans une station de métro, à la station Ginza), mais votre palais ne vous en tiendra pas rigueur. Ils sont préparés par Jiro Ono (premier Chef japonais à voir reçu 3 étoiles au Michelin). La capitale nippone regorge de restaurants de qualité remarquable. C’est d’ailleurs au Japon que l’on compte le plus grand nombre de restaurants deux et trois étoiles au guide Michelin. Une fois de plus, la France coiffée au poteau…
Crédit photo: darrenwoulgo.com
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