Oui, chrétiens et musulmans prient le même Dieu

  
C’est une thématique brûlante, diablement calcinante.  Chrétiens et musulmans prient-ils le même Dieu ? Nombre de chercheurs –  et de clercs –  prétendent que non. C’est un fait. Un fait brutal et massif. Ne citons pas de noms, ne dressons pas de listes, et surtout, ne jugeons pas. Le fait d’affirmer tout de go que le Dieu des chrétiens n’est pas le Dieu des musulmans ne doit pas être assimilé à une simple attitude de haine séparatiste. Il s’agit avant tout, chez ceux qui soutiennent cette position abrupte, d’une affirmation argumentée. D’une affirmation non seulement argumentée mais aussi, reconnaissons-le, solide.

 


Ces personnalités intellectuelles nous assurent  en premier lieu que les propriétés du Dieu du Coran divergent radicalement de celles du Dieu des Evangiles. Deux "personnalités" divines largement contradictoires se feraient ainsi face : d’une part le Dieu de Mahomet, permettant de faire la guerre, de conquérir par la force, de prendre des concubines, de recourir à l’assassinat politique si besoin, etc. De l’autre part, le Dieu chrétien, celui de l’amour, du pardon, de la miséricorde et de la femme adultère ; le Dieu qui avertit que celui qui prendra l’épée périra par l’épée… enfin le Dieu qui ose réclamer d’aller jusqu’à aimer les ennemis, et à tendre l’autre joue.

 

 

Effectivement, l’antagonisme semble abyssal. Aussi, la tentation est-elle forte d’en tirer conclusion rédhibitoire et… narcissique. Oui, narcissique. "Leur Dieu n’est pas le nôtre, pas celui de notre civilisation". Voici le murmure qui s’infiltre jusqu’au tréfonds des consciences. Un orgueil subliminal surnage dans l’atmosphère feutrée des colloques spécialisés. En vérité, l'antagonisme présenté comme tel est un demi-leurre: ces apologètes du christianisme oublient "opportunément" de préciser que le Coran véhicule aussi l'idée d'un Dieu de miséricorde, de compassion et d'amour. La question véritable, en définitive, ce n'est pas la mention de l'amour divin dans un Livre Sacré (elle est dans les deux cas présente); la question fondamentale porte en vérité sur la densité, le degré, l'intensité de cet amour annoncé, sa proportion prise par rapport aux autres mentions qualificatives de Dieu.

 


Les apologètes du Dieu "chrétien" qui critiquent en sourdine le Dieu "musulman" s’appuient souvent sur des faits d’acier, indubitables : les personnages bibliques sont repris dans le Coran, mais ce dernier modifie la "trame du scénario", le contexte et l’esprit général du Message divin qui transite par leur intermédiaire.

 

Ainsi, cas le plus frappant, le Jésus du Coran ne meurt pas crucifié, il est plutôt remplacé par une autre personne sur le bois du martyre ; dès lors, comment apparenter le sens de l’amour chrétien (dont l’horizon est le sacrifice divin, la souffrance de Dieu Lui-même pour ses créatures) au sens de l’amour que le Coran confère à Dieu (un Dieu qui ne saurait souffrir, puisqu’absolument transcendant, un Dieu qui ne saurait s’abaisser à s’incarner en homme, car absolument Dieu) ? La question, brûlante, doit en effet nous interpeller. Nous ne pouvons détourner pudiquement le regard par simple souci d’entente interreligieuse, de diplomatie spirituelle. Ici, sur ce point tout du moins, le chrétien a du mal à suivre son frère musulman.

 


Pour autant devons-nous, par un subtil égotisme confessionnel, déduire alors que le Dieu des musulmans n’est pas le Dieu des chrétiens ? C’est ici que tout dérape. Rien de plus traitreux que la sémantique et ses artifices… Pour être exact, il faudrait dire : l’image que les chrétiens confèrent à Dieu diverge de l’image que les musulmans confèrent à Dieu. Nuance ! Nuance radicale !

 

 

Affirmer que le Dieu que prient les musulmans et que le Dieu que prient les chrétiens n’est tout simplement pas le même Dieu signifie donc que nous sommes en présence de deux dieux. Il en résulte qu’au moins l’un des deux dieux est un faux dieu. Mais dès lors, il nous faudrait tout de suite ajouter : les chrétiens prient-ils tous le même Dieu ? En effet, le chrétien intégriste, croyant au Dieu vengeur de Bossuet, au Dieu qui condamne à l’enfer les mauvais bougres, s’adresse-t-il au Dieu que prie le chrétien convaincu de l’infinie miséricorde divine envers ses enfants ?

 


Le problème est alors strictement le même. Nous sommes en présence de deux conceptions  affectives de Dieu totalement différentes… et non de deux Dieux différents. Parallèlement, le fait que deux individus jugent d’une tierce personne de manière diamétralement opposée, cela fait-il de cette tierce personne deux personnes ? Non. Cette personne reste une, indivise ; et chacun, quels que soient les traits qu’il attribue à cette individualité, parle de la même personne… perçue différemment.

 

Ainsi du Dieu des musulmans et du Dieu des chrétiens. Il est rigoureusement le même, en dépit des attributs qu’on lui prête, chez les uns et les autres. Résistons, résistons à la tentation de ce sournois séparatisme spirituel. Et surtout, ne blâmons pas ceux qui tombent dans ce piège. Ecoutons-les et, fraternellement, exposons-leur notre désaccord profond envers leur assurance. 


En 1981, le père Michel Lelong a fait part à ce sujet d’un souvenir très fort : le spectacle  saisissant d’une femme marocaine épouse d’ouvrier, mère de 5 enfants, qui, entendant une religieuse catholique affirmer que "le Dieu dont parle le Coran n’est pas celui dont parle l’Evangile", répétait doucement : "Mais si, c’est le même. Je sais que c’est le même".

 

A tout chrétien véritable, cette anecdote devrait imposer réflexion.


Pierre-André Bizien

 


 

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