Selon un sondage Ipsos publié fin janvier 2013, 74% du panel représentatif des Français considèrent que l’islam est une religion intolérante, incompatible avec les valeurs de la société française. Ce résultat massif reflète la perception de l’islam qu’entretient la majorité des Français aujourd’hui. Cette perception est notamment liée à la crainte qu’inspire la tendance radicale de l’islam, pourtant minoritaire en France. Surmédiatisée, cette angoisse ne laisse pas de place à l’analyse des autres sensibilités qui s’expriment chez les musulmans français et dont la parole n’est que très peu diffusée.
A travers mes recherches et mes nombreux entretiens, j’ai constaté qu’une partie non négligeable des musulmans en France souhaitent que leur foi ne détermine pas leur positionnement dans la société. Opposés aux intermédiaires tels que le CFCM (conseil français du culte musulman, association destinée à représenter les musulmans de France), ils se sont approprié la tradition républicaine française qui établit un lien direct entre l’Etat et le citoyen.
Fréquentant peu les mosquées et rejetant le communautarisme, ils mettent en pratique leurs croyances tout en les adaptant à leur vie au sein de la société. Parfois très pratiquants, ils n’affichent pas leurs convictions religieuses et reprochent à certains autres croyants de le faire. Critiquant aussi bien les dérives d’individus se réclamant de l’islam que celles de certains responsables politiques favorisant les discours généralisateurs, ils souhaitent que les musulmans soient perçus comme tous les autres citoyens français.
Cette tendance lourde au sein de la communauté musulmane de « croyants discrets » très attachés à la République et refusant l’idéologie « multiculturaliste », n’a pas de visibilité au sein de l’espace public. Si les textes et la doctrine d’une religion influencent ses adeptes, l’inverse est également vrai : les religions impactent les sociétés et les sociétés influencent à leur tour les pratiques religieuses. Une partie des musulmans français aspirent à vivre leur religion en toute discrétion, dans le respect des valeurs républicaines qui sont les leurs. Leur religion est vécue de manière individuelle.
Selon eux, les dérives constatées tombant sous le coup de la loi doivent être réprimées avec force : le fait religieux doit être cantonné à la sphère privée et il ne doit pas servir d’alibi pour enfreindre les règles communes de la société. Ils considèrent que cette dernière doit cadrer la pratique religieuse : garantir la liberté de culte sans céder aux extrémistes.
Les partis institutionnels, ayant bien souvent abandonné la question au profit de mouvances plus marginales, prennent peu à peu conscience de la nécessité de répondre à la crainte des Français mise en lumière par ce dernier sondage : les non-musulmans, d’une part, qui ont l’impression que les autorités cherchent à nier les difficultés ; et les musulmans discrets, d’autre part, qui considèrent que l’inaction des partis les dessert et favorise l’amalgame avec les fondamentalistes.
Le pouvoir politique a ainsi une responsabilité importante pour défendre le modèle républicain français et éviter le délitement de la cohésion nationale.
Tarik Yildiz
Photo: Richard Taylor
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